by PD Akana — 1) Le type moraliste : le cas de la lutte contre la tricherie d’une part se mettre à plusieurs pour tricher lors d’un examen et d’autre part, étudier,.

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07-11/12/2008 Yaoundé, Cameroun CODESRIA 12th General Assembly Governing the African Public Sphere 12e Assemblée générale Administrer l™espace public africain 12a Assembleia Geral Governar o Espaço Público Africano Médiations murales dans l™espace scolaire et universitaire Parfait Dtématio Akana Université de Yaoundé II, ESSTIC CODESRIA 12th General Assembly Governing the African Public Sphere 12e Assemblée générale Administrer l™espace public africain 12a Assembleia Geral Governar o Espaço Público Africano

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2« Si la barbe était signe de sagesse, la chèvre s™appellerait Socrate », Inscription anonyme au Lycée de Mimboman à Yaoundé Introduction A quels résultats peut aboutir une enquête sur les inscriptions murales dans les établissements scolaires et universitaire d™une ville comme Yaoundé ? Quelles grammaire et esthétique murales peut-elle révéler ? Et, quelles peuvent êt re les logiques ou les modalités et la teneur d™une parole qui s™étale sur les murs ? Ce sont ces différentes questions qui constituent l™objet de notre recherche. Nous y répondrons en pr océdant d™abord à une typologie des messages recueillis puis ensuite, à leur analyse qui mont rera pourquoi et comment ils peuvent être dits constitutifs aussi de ce qu™on appelle « l™espace public ». I) Typologie des messages, économie du don et dialectique Un recensement des inscriptions recueillies dans un corpus de près de 800 mots et expressions dans un établissement universitaire et sept lycées 1, nous permet d™esquisser une typologie qui se décline en quatre grandes consta ntes qui sont de type moralist e, de type politique, de type sexuel et scatologique et enfin de type mémoriel. 2 Tous ces messages ont un caractère dialogique. L™enquête révèle que les énonciations murales sont une participation à la communication, qu™elles traduisent un éc hange d™informations entre différents agents. Dans cette perspective, on peut dire qu™elles par ticipent d™une sorte d™économi e du don : « Participer à la communication, c™est entrer da ns l™économie archaïque du « donner-recevoir-rendre », même si en apparence il ne s™agit que d™échanger des informations. » 3 De quelles informations s™agit-il dans le cas d™espèce ? La typologie annoncée il y a quelques lignes nous permettra d™en savoir un peu plus. Mais avant, il faut davantage expliciter le recours à l™économie du don. Nous l™appréhendons ici du point de vue d™une anthropol ogie de la communication qui considère que le contre-don, l™acte de recevoir et de rendre, donc l™énonciation murale est la marque, est la médiation d™une « communication sous-jacente » à laquelle elle fait écho. Ce qui est énoncé sur les murs (con tre-proposition, contre-don, chos e reçue et rendu e) l™est en 1 Les recherches ont été menées à l™Université de Ya oundé I, aux Lycées d™Anguissa, de Nkolndongo, de Biyem- Assi, Bilingue d™application, d™Ekounou, Mimboman. 2 Notons ici que cette typologie est essentiellement réductr ice quant à la grande variét é de thèmes auxquels nous avons été confronté pendant l™ enquête. Ce travail se veut donc une so rte d™introduction à une recherche en cours qui se propose, avec un corpus plus vaste, d™établir une anthologie commentée des énonciations murales en milieu scolaire et estudiantin. 3 Yves Winkin, Anthropologie de la communication. De la théorie au terrain, De Bœck Université & Larcier S.A. /Editions du Seuil, 2001, p. 272.

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3raison d™une énonciation antérieure (proposition, don, chose donnée). Il est dit de ce qui déjà, a été dit. Les exemples qui suivent nous le montreront. 1) Le type moraliste : le cas de la lutte contre la tricherie Les inscriptions de ce type puisent abondamment dans le registre moraliste. Leur style n™en est que plus influencé par celui du prosélytisme. En effet, il s™agit toujours ici de conversion à une nouvelle grammaire du faire qui appelle for cément un dessaisissement des habitudes en vigueur et réprouvées au profit des nouvelles pr ésentées comme meilleures. L™enjeu est donc de « faire des adeptes ou des prosélytes ». Ces inscriptions murales visent « une activité de transformation ou d™acquisition à travers la communication et le langage. » 4 C™est la raison pour laquelle, stratégiquement, l™offre faite pa r la proposition contenue dans l™inscription murale tient compte du groupe d™appartenance symbolique du receveur. L™offre est énoncée en raison d™un lieu où l™offrant pense qu™elle a des chances d™aboutir, de trouver des receveurs qui l™acceptent. Elle recouvre dans l™espace scolai re et universitaire, deux principaux secteurs à savoir : la lutte contre la tricherie et la lu tte contre les MST/Sida. Leur champ sémantique est inspiré par le lexique habituel de ceux à qui elles s™adressent : « Il comprend donc des règles d™usage qui rendent le s « phrases » ou les « actions propositionnelles » acceptables comme « bien formées » et pertinentes dans le domaine. » 5 La lutte contre la tricherie dans le milieu universitaire de la ville de Yaoundé est non seulement une proclamation de s autorités universitaires, mais aussi des associations estudiantines chrétiennes. Dans les exemples d™inscriptions murales qui suivent, nous donnons un rapide aperçu de quelques unes d™entre elles et montrons en les définissant socio- logiquement, en en soulignant les occurrences, en quoi elles sont inspirées par le vocabulaire du lieu d™énonciation et de réception. Les manières selon lesquelles la réception est rendue font aussi ici l™objet de quelques explicitations. « Avec le « front » tu vas en guerre contre toi-même » Le « front », emprunté au vocabulaire militaire (aller au front) a dans le milieu scolaire et estudiantin camerounais deux prin cipales acceptions a ssez contradictoires. Le mot signifie d™une part se mettre à plusie urs pour tricher lors d™un exam en et d™autre part, étudier, travailler avec acharnement avec la détermination de réussir. Toutefois, dans le cas d™espèce, 4 Fabien Eboussi Boulaga, « Pros élytisme. Exercice spirituel », Terroirs- revue africaine de sciences sociales et de philosophie , 3/2006, p.9. 5 Fabien Eboussi Boulaga, op. cit., p. 10.

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4c™est plutôt la première acception qui est rete nue pour dénoncer la tr icherie. Il y a une scotomisation objective de l™autre acception, un peu comme une exclusion sémantique pour insister sur ce sur quoi on voudrait attirer l™attention. Le retourne ment ici a alors valeur de condamnation et de disqualification morale d™un acte qui dans la praxis estudiantine est en grande majorité dépouillé de tout e charge négative et immorale. L™inscription fait le constat d™un risque : « Avec le « front » tu vas en guerre contre toi-même ». C™est l™argument psychologique qui agit comme un ép ouvantail, comme une menace. « Se renseigner à côté c™est affirmer son ignorance » L™ambition ici réside toujours dans la condamnation de ce qu™on pourrait appeler une banalisation dépolluante de la tricherie estudiantine, de sa quasi-normalisation. Une expérience de proximité, d™écoute et d™observati on nous a permis de réal iser que le lexique estudiantin fait rarement usage d™un mot tel que « tricher ». Il lui substitue à l™usage une expression comme « se renseigner à côté ». Ce remplacement est une sorte d™euphémisme qui exprime non seulement la conscience de l™immoralité et de la gravité de l™acte de tricher, sa brutalité évidente, mais aussi toute une stra tégie d™évitement de cette brutalité. Lequel évitement n™est possible que par le concours des mots qui embaument la réalité effective d™un tel acte, qui le dépouillent d™une signification jugée trop violente pour lui préférer une autre, moins accusatrice. L™enjeu d™un tel recours n™ est rien d™autre que l™affirmation d™une disculpation. C™est cette dern ière que l™inscription vien t contredire par une nouvelle accusation : « Se renseigner à cô té c™est affirmer son ignorance ». Cette réponse est la marque d™un jeu dialogique entre deux agents moraux qui s™ affrontent sur la signif ication querellée de la tricherie. Pendant que l™une la vide de sa signification d™origine, du fait d™une violence qui est du même coup dénoncée, par un mécanisme de substitution sémantique dont le projet est celui d™une nouvelle nomination et donc de l™attr ibution d™une nouvelle identité à la chose ; l™autre, en faisant fond sur le lexique proposé, introduit une nouvelle accusation. Le caractère verdictif de l™énonciati on murale exemplifie la neutrali sation ou la contradiction d™une tentative d™imposition sémantique par une nomina tion re-créatrice de la chose, de l™acte de tricher. Il fait désormais de ce dernier un s ynonyme de l™ignorance. La nomination de l™acte de tricher traduit alors le procès d™une r ecodification alternative par les deux principaux agents moraux qui s™affrontent da ns ce cas. Ce procès est insc rit, par le biais des échanges verbaux dans une économie du don qui se caractérise ici par une dialectique de l™assainissement et de la souillure comme en témoigne par exemple cette autre énonciation murale : « La tricherie est une maladie qui tue l™intelligence ». Que voulons-nous dire par là ?

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5L™offre d™une nouvelle désignation et d™une nouvelle signification d™un acte que l™on identifie habituellement à la tricherie est faite pa r les étudiants. Elle consiste en une déprohibition de cet acte et en une décontamination des aspects négatifs qui le définissent traditionnellement, en quelque sorte à sa normalisati on. Cette offre est reçue par les autorités universitaires et les associations estudiantines chré tiennes parce qu™elles y rép ondent en faisant des contre- propositions sémantiques qui réaffirment et réintr oduisent dans l™acte de tricher, en recourant aux termes mêmes qui visaient à le dépolluer, la charge négative qui assure sa désapprobation, sa prohibition. Un autre exemple tel que : « L™Homme n™est rien sans son « BORD » ? Non, L™Homme est mort avec son « BORD » » rend compte de ce que ces énonciations murales sont des actes de communication, des échanges d™informations entre deux groupes d™agents moraux au sujet du problème de la tricherie en milieu universitaire. « L™Homme n™est rien sans son bord » est une expres sion que les étudiants emploien t généralement pour justifier leur droit à la tricherie. Le « bord » ici représente des notes de cours retranscrites soit sur le corps, soit sur une table, soit sur des petits bouts de papier qu™ils dissimulent et lisent et/ou ressortent à l™occasion d™un examen. Sans ce « bor d » qu™ils appelleront encore selon l™usage (quand ils l™envoient à leurs camarades) « missile » ou « cartouche » (l™idée de propulsion est présente ici et emprunte encore au lexique de la martialité), ils ne sont « rien ». Le droit de tricher exprime alors là toute sa radicalité et apparaît dans ce cas comme une nécessité vitale et ontologique. Etre apparaît comme une vérité parce qu™on a un « bord ». La réalité effective ou la réalité réelle du sujet, de l™être, est irréductible à un avoir : le « bord ». Cette affirmation, une fois de plus, est contredite par l™inscription murale qui puise toujours dans le lexique de la dépollution et de la justification de l™acte de tricher : « L™Homme n™est rien sans son « BORD » ? Non, L™Homme est mort avec son « BORD » ». En plus , elle renforce, mais dans un autre sens, la forclusion de l™être sans « bord ». Ce n™est plus le manque ici, mais l™avoir du « bord » ou sa possession qui est la condition néce ssaire et suffisante qui assure à l™être son effacement, sa mort. Toutefois, l™exemple qui va suivre nous montre qu™il y a toujours une réaction à la réaction de la proposition donnée, faite, reçue et rendue qui est une nouvelle offre qui s™inspire de l™échange précédent. L™ exemple en question est : « Le « Missile », la « Cartouche » sont une mer sans fond où se noie le génie ». Nous ne nous appesantirons pas comme dans les précédents cas su r le décryptage de cette inscription, mais plutôt de ce qui figure juste en dessous et qui a été, selon to ute vraisemblance, ajouté au feutre par deux étudiants : « Le génie nage. » et à la suite de cette proposition : « Qui a dit ? » Dans la première proposition : « Le génie nage », ce qui a pparaît avec force c™est la consubstantialité irréductible du « génie » avec les outils incriminés de la tricherie. Comme dans les autres cas,

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6on est en face ici d™un argument de type causal : la tricherie cause la mort du génie, une mort par noyade. La contestation de cet argument prend appui sur le champ lexical de l™eau 6 qui est convoqué. Toutefois, on se rend compte que ce de rnier est retourné sémantiquement par une contre-proposition qui attribue au génie une prop riété : il nage. Et du coup, le risque encouru est loin, la menace de mort neutralisée par une qua lité salvatrice : l™aptitude à nager. Ce qui se passe ici c™est que les informations qui sont échangées par le truchement des inscriptions murales, médiatisent quelque chose de plus profond et de plus fondamental qui est une querelle du sens véritable de la morale sociale. L™écono mie du don par laquelle elle est exemplifiée permet de la mettre en exergue et de la caractériser avec clarté comme une lutte pour l™affirmation, Paul Ricœur dirait pour la reconnaissance 7, d™une morale sociale, d™une grammaire normative de l™action en société au dé triment d™une autre. La tricherie n™est pas reconnue comme un acte immoral de malversati on intellectuelle, son unité sémantique originelle est en quelque sorte défiée. La question centrale que ces transactions énonciatives pose est celle de la normalité morale, enjeu de tiraillements. La deuxième proposition : « Qui a dit ? » s™énonce comme une contre-propositi on qui par son caractère interrogatif met en doute la première proposition. Concluons cette section en affirmant que ce qui est en procès ici comme nous l™avons déjà souligné, c™est la signification d™une pratiq ue. Les réactions énonciatives des autorités universitaires et des associations chrétiennes estudiantines pourra ient être interprétées comme la reconnaissance pou r elles de ce que la signification est donnée par l™usage. Toutefois, par la manière dont elles sont énoncées, on en vient à un e signification polémisée, conflictuelle de la tricherie, un peu comme une tentative d™imposition du sens. 8 Tout se passe ici dans le langage comme si les élèves et les étudiants dérogeaient involontairement à la règle 9. Dans ce cas, leur comportement serait considéré comme déviant « parce qu™une règle explicite n™a pas été appris e : il [s™agirait] alors d™un cas d™ignorance qui peut en principe être corrigé par un dressage approprié » 10 C™est cela qui expliquerait aussi d™une part, l™échec de l™échange et les détournements sémantique s et d™autre part, la volonté 6 Il n™est pas inutile de mentionner ici que l™eau évoque dans le français came rounais, surtout en milieu scolaire et estudiantin, des épreuves destinées à un examen et dé tournées avant que celui-ci ait eu lieu, pour être exploitées par les candidats. 7 Paul Ricœur, « La lutte pour la reconnaissance et l™économie du don », Conférence, Première Journée de la philosophie à l™UNESCO , 21 Novembre 2002, 6 pages. 8 C™est aussi, pour ces autorités, la conscience d™un e menace réelle relative à la « normativité de la signification ». 9 Cette règle sera dite ici explicite, c’est-à-dire qu™elle se présente sous la forme d™une justification ou d™une explication et est invoquée pour corriger un comportement déviant. 10 Alain Voizard, « Une interprétation de « la signification est l™usage » », Philosophiques , 28/2 Œ Automne 2001, p. 398.

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8cause car, la morale n™a pas besoin de mobile s pour être. Michel de Certeau affirme : « (–) j™entends par « croyance » non l™objet du croi re (un dogme, un programme, etc.), mais l™investissement des sujets dans une proposition, l™ acte de l™énoncer en la tenant pour vraie Œ autrement dit, une « modalité de l™affirmation et non pas son contenu. » 13 Dans le cas de la tricherie scolaire et estudiantine, la lutte est rendue stérile par les modalités qu™elle utilise pour la cause parce que la « valeur d™at tention » des messages proposés n™est pas suffisamment pertinente et incitative pour que le s receveurs s™investissent dans la proposition et y croient, la tiennent pour vraie. Le succès de la proposition viendrait donc des modalités qu™il faut épurer des éléments dog matiques qui assignent à la lutte contre la tricherie les vertus salutaires qu™on ne cesse de clamer, qui en fe rait véritablement une « croyance » au sens de Michel de Certeau et non une règle, qui la transformerait en un acte de foi. 2) Le type politique On est d™abord frappé ici par le fait que la grande majorité d™inscriptions murales de type politique se caractérise par leur anonymat contrairement aux autres qui usent tout au moins de pseudonymes ou d™initiales. Cela peut encore dé noter de la prudence qu i pousse les acteurs à user de ce recours pour exprimer leurs opinions politiques. Qu™est-ce qui peut exprimer une telle prudence ? Seule la hantise des représaill es, pensons-nous, car le contexte est encore marqué par la croyance très forte qu™on ne critique pas le pouv oir ou les autorités impunément. Ce qui précède nous permet donc de comprendre que ces inscriptions se déclinent surtout sur le mode de la contestation et de la réprobation du système. Elles sont à la fois dirigées contre les autori tés des établissements auxq uels appartiennent les élèves et les étudiants et contre les autorités politiques à l™échelon national, principalement le président de la République. Par exemple, en ce qui concerne le premier cas, il s™agit de revendications d™ordre structur el et touchant également a ux règles de la déontologie professionnelle et à la moralité du corps en seignant : « Quelle carte pour un étudiant malheureux », « B– 14, tu vas me sentir », « Le prof de SVT n™est qu™une poufiasse escroc », « Quand on est prof on ne drague pas les élèves », « Si Mr X est votre prof, méprisez-le ! », etc. Dans le second cas, c™est clairement le chef de l™Etat qui es t attaqué, ainsi que son pouvoir. Et, le plus intéressant est que les attaqu es collent parfois à l™act ualité, ce qui montre qu™à l™encontre de certains préjugés convenus et des exhortations au sommet pour qu™ils 13 Michel de Certeau, L™invention du quotidien, 1. arts de faire , Gallimard, coll. « folio essais », 1990, p. 260. 14 C™est nous qui mettons les pointillés.

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9soient désintéressés des affair es touchant à la vie politique 15, les étudiants et les élèves sont informés et politisés. Pour preuves, alors qu™ au premier semestre de cette année un débat faisait rage sur la modification de la constitutio n qui devait, entre autres choses, supprimer la limitation des mandats présidentiels et permettre au chef de l™Etat de se présenter aux élections autant de fois qu™il le souhaitait, on a pu lire sur les murs de l™Université de Yaoundé I et des établissements comme le Lycée bilingue d™Application, en pleine période de Coupe d™Afrique des Nations à laquelle prena it du reste part le Cameroun, ceci : « Les lions doivent gagner la Can afin que Popaul 16 change sa 17 Constitution » 18, « Même fiSongfl ne veut pas qu™on change la Constitution ! », 19 « Popaul lep that Constitution, thanks. » 20, etc. Egalement, ces attaques peuvent prendre la tournur e de l™insulte et d™une identification claire et nette de celui à qui elle est adressée à une catégorie socialement réprouvée et détestable comme le sorcier : « Paul Biya sorcier quitte le pouvoir vieux– », « Biya, sorcier » ou alors : « Popaul, voleur ». Il faut lire dans l™insulte ic i, dans le dénigrement, un acte de contestation politique et de violence symbolique que seul permet dans le cas d™espèce, le pouvoir du langage qui fait appel, pour réif ier et dévaloriser jusqu™à l™infa mie la personne attaquée, à tout un imaginaire culturel sur la sorcellerie. En effet, le sorcier est celui qui vole, tue et prend la vie des autres dans l™unique souci de nuire, comme une jouissance du mal pour le mal. La sorcellerie est la nuisance absolue et l™ exercice du pouvoir par l™individu incriminé est assimilé à l™administration d™une telle nuisa nce, d™une violence aveugle et gratuite– 3) Le type sexuel et scatologique Il est omniprésent et pa rticipe d™une sorte d™esthétique de la vulgarité. Nous avons constaté que les établissements secondaires so nt le lieu où ils sont les pl us prégnants. Ces inscriptions murales sont dans certains cas énoncées dans un style proverbial. Cela nous renseigne sur le fait que l™ambition des locuteurs est d™inscrire ce s énoncés dans une continuité, d™en faire une 15 Référence est faite ici à un message du président camerouna is qui disait dans les années 1990 : « la politique aux politiciens et l™école aux écoliers ». 16 C™est ainsi qu™est désigné le chef de l™Etat camerounais. 17 L™emploi du possessif « sa » exprime bien l™état d™es prit dans lequel cette constitution est reçue, comme une chose que les sujets ne reconnaissent pas, comme une pr opriété individuelle, taillée sur mesure pour se maintenir au pouvoir. 18 Ce message apparaît, formulé différemment une vingta ine de fois. On comprend aussi que les acteurs sont conscients des capacités de diversion et de distraction de s victoires sportives de l™équipe national de football que le pouvoir politique utilise à son compte pour détourner l™attention des « vrais » problèmes. 19 L™allusion ici est faite à l™erreur défensive du footballeur camerounais Rigobert Song qui a permis à l™Egypte d™inscrire l™unique but de la partie et de remporter ainsi la finale de l™édition 2008. 20 « Popaul, laisse cette Constitution, merci. »

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10sorte de fonds commun qui est aussi une grammair e du dire et du parler à partir de laquelle, selon les situations de communication, on peut pui ser pour s™exprimer. Ces différents énoncés nous informent aussi abo ndamment sur l™imaginaire sexuel des élèves et des étudiants, sur leur vision sexuelle du monde. On re tiendra qu™elle est surtout caractérisée ici par l™expression d™une sexualité débridée et compulsive ainsi que d™une économie sexuelle de la dispersion et de la saturation. La plupart de s messages recensés en effet dans cet ordre-là révèlent comme une so rte d™apologétique des copulations effrénées et immodérées qui trouvent leur point d™orgue dans une dénégation en règle de tout recours à la contraception, malgré la présence dans les établissements d™insc riptions murales qui appellent justement à l™observation de cette dernière . C™est ainsi qu™on lira par exemple : « SIDA (Société Inventée pour D écourager les Amoureux) » 21, « Pincer-dérouler est une mauvaise chose »22, « Le SIDA c™est une bonne chos e ». On peut évoquer ici le rire carnavalesque pour expliquer ces discours qui rament, tout en faisan t fond sur lui et donc tout en le reconnaissant, à contre-courant de l™ordre mora l en vigueur. Dans cette perspec tive, les stratégies des acteurs seraient objectivement et intentionnellement in scrites dans une logiqu e de dérision et de raillerie de la règle. Mais, pourquoi raille-t-on la règle ? Nous ne risquerons pas ici l™hypothèse d™une inconscience quant aux enjeux sanitaires et vitaux d™une sexualité « ordonnée », de la contraception, mais plutôt une approche minimaliste qui pose que les élèves et les étudiants raillent la règle parce qu™ ils n™y croient pas, parce qu™elle est règle et non croyance ou affaire de foi, ou plus exacteme nt, comme dans le cas de la tricherie que nous avons déjà esquissé, acte de foi. La rais on aussi, pour être moins catégorique, peut être due au fait que la règle est trop moralisante. Les outils d™aide à la décision , ce que Bernard Lamizet appelle encore l™information, qui sont in sérés en elle prônent une éthique, un style de vie que la morale populaire considère comme, si ce n™est impossible, difficilement observable puisque, dans le même temps, on assiste en milieu jeune à une consommation frénétique de la pornographie par le biais des revues spécialisées et des DVD qui se vendent et s™échangent trop bon marché dans la rue, mais surtout aussi par le biais des chaînes pornographiques diffusées sur le câble. On peut postuler ici que compte tenu de cet état de fait, la publicité sur 21 Une autre variante de la déclinaison du sigle exis te et est : « Syndrome Inventé pour Décourager les Amoureux ». L™intéressant également dans le jeu dialogique qu™instaurent constamment les énonciations murales, c™est la controverse et la polémisation des insc riptions dans ces mêmes lieux où ils sont énoncés. Ainsi, on lira comme un appel à la contrace ption, une autre déclinaison du si gle P.M.U.C. (Pari Mutuel Urbain Camerounais) en P.M.U.C. : Personnes Malades Utilisez Condoms. 22 L™allusion ici est faite par rapport à une publicité cél èbre au Cameroun sur l™usage du préservatif masculin (« pincez, déroulez– »). A côté de ce message, on retrou ve un autre, marginal qui d it exactement le contraire à savoir : « Pincez-Déroulez c™est bon ».

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11les ravages du Sida est diluée dans un flot d™imag es différentes qui étalent plutôt une pratique compulsive du sexe. Le thème de la sexualité, en même temps qu™il nous instruit, par le biais des énonciations murales, sur la nature des rapports homme/fe mme en société, est une source d™inspiration pour les insultes les plus divers es. Dans le premier cas, c™es t par exemple la construction d™une stratification sociale qui id entifie l™homme au mâle et même au mâle dominant et dont la principale identité est la puissance sexuelle à laquelle on le reconnaît : « L™ hoe qui a peur du tchololololo est impuissant » 23 et « Les hommes sont le marteau, sois l™enclume » .24 Dans le deuxième cas, il sera question d™un recours aux organes sexuels, à certaines parties du corps qui seront alors utilisées, subissant une dégrad ation pour les besoins de la cause, comme des insultes, dans un procédé qui sera parfois celui de la synecdoque dans la mesure où la partie signifiera l™individu insulté : « Ta grosse tête comme les lolos de Nastou » 25, « Sa bouche enflée comme le cul du bœuf » 26, « Pistacheur ! »27, « Vos noyaux » 28, « Fuck you » 29. Les inscriptions murales dont le registre est celui de la sexualité, sont d™ une grande variabilité. Nous n™en avons donné ici qu™une typologie restreinte et réductive. Il faudrait certainement un plus large éventail pour dégager des catégorie s plus générales. Toutefois, nous remarquons que bon nombre parmi elles échapperaient encore à une typologie qui est toujours nécessairement grossière. C™est qu™elles so nt parfois des marquages identitaires, des médiations ontologiques des individus isolés qui à un moment donné, expriment une opinion, un état d™âme, un sentiment sur une s ituation, sur une expérience de vie : « Le malheur de 23 Le « tchololololo » ici c™est la relation sexuelle. 24 On a dans cet exemple l™affirmation même, à travers une dialectique de l™actif et du passif, du rôle affirmé et revendique de l™homme dans ses relations avec la femme en société. La phrase évoque les rapports sexuels. Il est celui qui est actif, qui produit un travail, qui exerce une activité, un e force sur un sujet passif. Le « sois passif » peut être lu ici comme une manière d™enjoindre la femme à se conformer à ce rôle, à lui interdire toute velléité. On trouve une autre variation de cette assertion dans l™assimilation sociale de la femme au mortier et de l™homme au pilon. 25 Nastou est une comédienne ivoirienne qui a une forte poitrine. 26 Juste une précision ici pour dire que le cul est considéré localement comme le sexe. Donc, l™insulte se lit exactement ainsi : « Sa bouche enfl ée comme le sexe du bœuf ». 27 « Le » pistache dans le français camerounais désigne le sexe d™une femme et, pistacher veut dire faire l™amour à une femme. Le pistacheur est donc celui qui fait l™amour à une femme. Mais, en situation de communication, traiter quelqu™un de pistacheur signifie qu™il en fait trop, à une fréquence trop régulière pour être normale. C™est dont la marque d™une certaine insatiabilité, d™une certaine gourmandise. D™ailleurs, il n™échappera à personne ici que dans ce cas, l™homologie de la relation sexuelle avec l™alimentation, la nourriture est plus qu™évidente. Le sexe est justement donné ici comme une nourriture, comme quelque chose qui se mange– 28 Les « noyaux », dans le français camerounais, désignent les testicules. Quand une personne dit à une autre : « Tes noyaux ! », elle ne fait pas que désigner une partie de son anatomie, mais elle l™évoque contre les usages, socio-logiquement avec impudeur. C™est la raison pour laquelle elle est considérée comme une insulte parce que l™évocation ici a valeur de dévêtissement , de dévoilement, d™exposition obscène. 29 Nous avons recensé à ce sujet, près d™une centaine d™inscriptions du même type.

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