by A Ouedraogo · Cited by 2 — pdf>. 70. Lassa Oppenheim, International Law: a Treatise, vol. 1, Peace, London, Longmans Green and co

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L™ÉVOLUTION DU CONCEPT DE FA UTE DANS LA THÉORIE DE LA RESPONSABILITÉ INTERNATIONALE DES ÉTATS Awalou Ouedraogo La question de la place de la faute dans la théorie de la responsabilité internationale des États est sans aucun doute une vexata quaestio . En effet, le débat sur les fondements de la responsabilité internationale a profondément divisé les auteurs depu is l™émergence du droit international en tant que discipline autonome à partir de la seconde moitié du XVIII e siècle. Pour les uns, l™unique fondement de la responsabilité est l™iniuria, le fait illicite. Pour d™autres, en plus de l™ iniuria , il faut un mens rea de son auteur. Cependant, la virulence du débat doctrinal contraste avec la démarc he de la jurisprudence. La Commision du droit international, elle, a voulu éviter la controverse en affirmant le princi pe d™une responsabilité objective. Le débat semble donc définitivement clos. Or, un examen approfondi des articles sur la responsabilité des États adoptés en 2001 montre que toute idée de faute en tant qu™attitude psychologique, n™a pas complètement disparu de la théorie de la responsabilité . Cet article a pour objectif de retracer les origines de la controverse sur la question de la faute depuis le droit romain jusqu™à l™époque contemporaine en passant par la doctrine du droit des gens. Il démontre également en quoi la faute survit toujours derrière le fait illicite. Accountability ans its status undoubtedly remains a vexata quaestio , when it comes down to the theory of states international responsibility. I ndeed, the debate on the bases of th e international responsibility deeply divided authors since the emergence of the internati onal law as an autonomous discipline starting from second half of the 8th century. For some, the responsibility is solely based on the « iniuria », the illicit fact. For others, it is the sum of the iniuria and the mens rea. However, there is a sharp contrast between the doctrine framework and the jurisprudence apparatus. The International Law Comission wanted to avoid the controversy by asserting th e principle of an objective responsibility. Thus, the debate seems to be a closed case. But a thorough examination of the articles about states responsibility adopted in 2001 shows that the psychological still remains as an important element in the theory of responsibility . This article aims to recall the origins of the controversy on the ques tion of accountability sin ce the Roman law until the contemporary time while passing by th e doctrines of the law of nations .It also shows how the fault always survives behind the illicit fact. * Chargé de cours au département d™études internationales de l™unive rsité York, Toronto. Docteur en droit international (Institut de hautes études inte rnationales et du développement, IHEID) ; DEA en droit international (IHEID), Licence en droit public (Université de Ouagadougou). L™auteur tient à remercier le professeur Eric Wyler pour ses commentaires.

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(2008) 21.2 Revue québécoise de droit international 130 C™est un principe de droit internatio nal que la violation d™un engagement entraine l™obligation de réparer dans une forme adéquate. La réparation est donc le complément indispensable d™ un manquement à l™application d™une convention, sans qu™il soit nécessaire que cela soit inscrit dans la convention même.1 Ainsi s™exprimait la Cour permanente de justice internationale (CPJI) dans l™Affaire relative à l™Usine de Chorzow en 1927. C™est donc un principe général que tout fait illicite d™un État engage sa responsabilité. Le fait illicite présuppose que le comportement constitutif d™une action ou d™ une omission est attribuable à l™État en vertu du droit international et est contraire à une obligation internationale 2. La question que l™on se pose, à vrai dire que l™on s™est toujours posée, mais de façon affirmée depuis l™âge d™or du positivisme juridique au début du XX e siècle, est de savoir si la violation de l™obligation et l™attribution sont les seuls fondements de la responsabilité de l™État ou au contraire, une mens rea , « une attitude déterminée de la volonté » 3, est également nécessaire. L™exigence de la faute en matière de responsabilité est ancienne, et la question de l™origine de la responsabilité a profondément divisé les auteurs. Si l™on suit l™évolution de la doctrine sur la question de la faute depuis l™émergence du droit international en tant que discipline autonome à partir de la seconde moitié du 18 e siècle, on y constatera des phases successives différentes 4. Mais la tendance générale qui se dégage de la doctrine aujourd™hui pourrait se résumer dans cette idée de Dupuy : En droit des gens, la faute est morte av ec les derniers flonflons de la Belle Époque dès avant que l™Europe ne s™enterre dans la boue sanglante des tranchées. Son assassin, réalisant par ce meurtre rituel l™aspiration de toute une génération, fut bientôt identifié. Il s™agissait d™un italien positiviste, l™implacable Dionisio Anzilotti. 5 1 Usine de Chorzów (indemnités) (Allemagne c. Pologne), Ordonnance du 21 novembre 1927, C.P.J.I. (sér. A) n° 12 à la p. 21. 2 Commission du droit international, Projet d™articles sur la responsabilité de l™État pour fait internationalement illicite et commentaires y relatifs , dans Rapport sur les travaux de sa cinquante- troisième session, Doc. off. AG NU, 56 e sess., Doc. NU A/56/10 (2001), art. 1-2 [CDI, Projet d™article sur la responsabilité de l™État ]. L™Assemblée générale de l™ONU a pris note de ce projet dans sa résolution A/RES/56/83 du 12 décembre 2001. Respons abilité des États pour faits internationalement illicites, Doc. off. AG NU, 56 e sess., Doc. NU A/56/83 (2001). La pr oblématique de la faute dans la responsabilité des organisations internationales néce ssite certainement une analyse approfondie. Mais dans le cadre de cette étude, nous entendons uniquement nous limiter à responsabilité des États. 3 Dionisio Anzilotti, Cours de droit international , trad. par Gilbert Gidel, Paris, Sirey, 1929 à la p. 496. Selon Ago, la question de savoi r si l™imputabilité est ou non subordonnée à l™existence d™une faute constitue « l™un des problèmes les plus délicats de tout le domaine étendu du droit international » (Roberto Ago, « Le délit international » (1939-II) 68 Rec. des c ours 419 à la p. 476). 4 Ago, ibid. à la p. 477. 5 Pierre-Marie Dupuy, « Faute de l™État et fait internationalement illicite », (1987) 5 Droits. Revue française de théorie juridique 51 à la p. 51 [Dupuy, « Faute de l™État »].

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Évolution du concept de faute 131 On pourrait même dire que la faute étant morte, assassinée par le positivisme, ses obsèques furent officiellement célébrées en 2001 par les « évêques » de la Commission du droit internationa l (CDI) à travers les articles sur la responsabilité des États. Il n™y a plus, du mo ins en principe, « d™exigence particulière de faute ou d™intention maligne pour qu™un fait internationalement illicite existe » 6. Pour s™en convaincre, il suffit de lire les deux premiers articles de la CDI sur la responsabilité des États. Face à cette grande messe, la doctrine en majorité partisane d™une responsabilité objective, crie sa victoire. Certains estiment même que « l™exigence d™une condition supplémentaire, la faute ou un de ses avatars l™intention, n™est plus revendiquée aujourd™hui par aucun courant significatif, étatique ou doctrinal » 7. La victoire de la responsabilité objective semble totale et, mieux encore, il n™y aurait plus aucune poche de résistance. Mais voilà que depuis le cercueil, le cadavre se met à bouger, semant ainsi le doute quant à la réalité de sa mort. La faute a-t-elle totalement et radicalement disparue de la théorie de la responsabilité internationale des États? Est- ce vrai qu™un fait quel qu™il soit, est illicite dès lors que l™on constate une violation hic et nunc de l™obligation? Pour mieux comprendre le problème de la faute et surtout expliciter les malentendus au sein de la doctrine, il convient de le poser dans ses termes exacts et d™établir clairement ce que l™on entend par faute en partant du corpus iuris civilis romain (I). Ce qui nous permettra de montrer, contrairement à ce que l™on pourrait croire, que la faute n™a pas complètement disparu de la théorie de la responsabilité (II). I. Concept de la faute : l™héritage romain L™influence du droit romain sur le monde moderne a été immense et profonde. Immense parce qu™historiquement, le droit romain a été considéré comme un ius commune , « the communal law of a large part of the world [] when ‚all the world was rome™ and roman law was used [] in all the provinces of the empire extending over the greater part of Western Europe and North Africa »8. Profonde 6 James Crawford, Les articles de la CDI sur la responsabilité de l™Etat pour fait internationalement illicite. Introduction, texte et commentaires , Paris, Pedone, 2003 à la p. 14. 7 Jean Salmon, « L™intention en matière de responsabilité internationale », dans Mélanges Michel Virally, Le droit international au service de la paix, de la justice et du développement , Paris, Pedone, 1991, 413 à p. 414. Oliver Diggelmann considère que « [t]he ILC™s approach has undeniably ended the debate insofar as the topic is no longer within the scope of the secondary rules »: voir Oliver Diggelman, « Fault in the Law of State Responsibility Œ Pragmatism ad infinitum? », (2006) 49 German Yearbook of International Law, 293 à la p. 295. 8 Andrew Borkowski et Paul du Plessis , Texbook on Roman Law , 3e éd, Oxford, Oxfo rd University Press, 2005 à la p. 355. Sur l™influence du droit ro main en Europe, voir notamment Paul Vinogradoff, Roman law in medieval Europe , 3e éd., Oxford, Oxford University Press, 1961. Sur le droit romain en tant que ius commune , voir notamment Helmut Coing, «The Roman Law as a ius commune », (1973) 89 Law Q. Rev 505. Selon cet auteur, ce ius commune « was a body of law developed out of the Roman law of Antiquity » (ibid., à la p. 505). Les facteurs de cette infl uence ne sont ni la domination de Rome en Europe et même ailleurs, ni l™immens e compilation de Justinien. Pour lui, « [t]he first [en parlant des facteurs] is the development in education: th e history of the law schools in the universities of medieval Europe. The second is concerned with th e development of State administration in the same

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(2008) 21.2 Revue québécoise de droit international 132 surtout, parce que l™impact de ce droit romain notamment la théorie générale des obligations, système d™une grande perfection technique, a été reprise « presque sans changement » 9 par les droits modernes civiliste et common law . L™importance fondamentale du droit romain n™est pas seulement historique. Il tient aussi au fait que les principes généraux, minutieusement dégagés et raffinés par les jurisconsultes romains en ce qui concerne notamment le f ondement de la responsabilité civile et délictuelle, ont été « conservés dans les droits modernes occidentaux et dans ceux des nombreux pays qui se sont inspirés du Code civil et du BGB allemand » 10. Ce n™est donc pas étonnant que nous continuions, aujourd™hui, d™utiliser des concepts et catégories du droit romain largement interprétés et développés par les glossateurs. La notion de faute que nous connaissons dans les systèmes juridiques actuels plonge donc ses racines directement dans le droit romain, qui en a finement ciselé les contours à travers le droit des obligations et la systématisation des délits par la lex Aquilia . A. De l™ iniuria à la culpa En examinant le droit romain dans une perspective diachronique, les spécialistes distinguent entre l™ancien droit et le droit classique romain. Cette distinction est importante, car la faute ne joue pas le même rôle dans l™un ou l™autre système juridique. Dans l™ancien droit, l™ idée de responsabilité n™impliquait aucune notion de faute. Elle était étro itement liée à l™acte dommageable, l™ iniuria , au sens physique du terme, signifiant d™une manière générale « acte commis sans droit » 11. Selon Parisi, « in ancient systems of laws, liability was to arise as a consequence of loss that was causally related to a human act. The subjective elements of injurious behaviour were factors of a second moment. Imputability of the actor and voluntariness of the act were presumed or simply ignored [nos soulignements] » 12. period. Thirdly we have to look at the d evelopment of ideas about law in this period » ( Ibid . à la p. 507). Mais étant donné que le ius commune dont parle le professeur Coing avait été invoqué lors d™une affaire franco-britannique concernant la prise d™un navire dénommé Ahasverus lors de la guerre de 1667 (donc après la doctrine de la seconde sc olastique espagnole et surtout la publication du monumental ouvrage de Grotius De jure Belli ac Pacis en 1625) on se demande si en réalité il ne s™agissait pas du jus gentium, accord tacite entre les nations. 9 Robert Villiers, Rome et le droit privé , Paris, Albin Michel, 1977 à la p. 429. Sur la construction des différentes institutions romaines et surtout la pl ace de la coutume, voir entre autre Herbert Felix Jolowicz, Roman Fondation of Modern Law , Oxford, Clarendon Press, 1957 aux pp. 6-37. 10 Ibid. Sur l™influence du droit romain en droit civil et en common law, voir notamment, Peter G. Stein, The Character and Inflence of Roman Civil Law : Historical Essays , Londres, Hambledon Press, 1988 aux pp. 53-71; Alan Watson, Studies in Roman Private Law , Londres, Hambledon Press, 1991 aux pp. 253-67. 11 Ibid . à la p. 41. Sur la notion d™ iniuria voir aussi Deon Hurter Van Zyl, History and Principles of Roman Private Law , Durban, Butter Worths, 1983 aux pp. 343-45; Édouard Cuq, Manuel de droit romain, 2e éd., Paris, Plon, 1928 aux pp. 557-603. 12 Francesco Parisi, Liability for Negligence and Judicial Discretion , 2e éd., Berkeley, University of California, 1992 à la p. 51.

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Évolution du concept de faute 133 Le système romain des délits privés ( delicta privata ) par opposition aux délits publics ( delicta publica) 13 va subir une profonde évolution avec la lex Aquilia 14, ancêtre de la théorie moderne de la responsabilité délictuelle encore appelée de nos jours « responsabilité aquilienne ». La lex Aquilia comporte, selon les historiens du droit romain, trois chapitres, chacun d™eux sanctionnant un délit différent : la mise à mort injuste d™un esclave ou d™un animal vivant en troupeau appartenant à un tiers, punie d™une amende égale à la plus haute valeur de l™esclave ou de l™animal dans l™année qui avait précédé le délit; la remise frauduleuse d™une dette par un créancier accessoire aux dépens du créancier principa l; les blessures causées aux esclaves ou aux animaux vivant en troupeau et la destruction ou la détérioration d™autres choses corporelles15. En outre, ces actes injustes doivent être causés corpore et corpori , c™est-à-dire 1º que le dommage ai t résulté d™un acte matériel de l™agent, que ce dernier ait tué et non pas occasionné la mort, qu™il ait frappé l™animal et non pas seulement fait du bruit pour le faire sauter dans un précipice; 2º que le dommage ait atteint la chose et non pa s seulement préjudicié au maître, comme il arrive quand on délie un esclave ou que l™on ouvre la cage d™un oiseau pour lui permettre de s™échapper. 16 La responsabilité organisée par la lex Aquilia suppose donc que le fait dommageable ait été commis par l™auteur sur la victime et par iniuria . Le lien de 13 Ces deux catégories de délits sont des actes illic ites sanctionnés d™une peine. Mais les délits publics sont ceux qui sont considérés comme lésant les intérê ts de la cité toute entière qu™ils affaiblissent ou sur laquelle ils attirent la colère des dieux. Ce sont notamment le sacrilège, la trahison ou la désertion. Toutefois, certains crimes graves contre les particuliers, comme l™in cendie volontaire et l™assassinat, ont été de bonne heure punis par les magistrats. Su r la distinction délits privés, délits publics, voir également Theodore Mommsen, Droit pénal romain , Paris, Ancienne librairie Thorin et fils, 1907; Paul Frédéric Girard, Manuel élémentaire de droit romain , 7e éd., Paris, Rousseau et Cie, 1924 aux pp. 409-11. Ce dernier auteur esti me que « les peines corporelles ou pécuniaires que les délits publics entrainent, ne profitent pas en principe à leurs victimes et le châtiment en est poursuivi par une procédure spéciale, la procédure criminelle, devant des tribunaux spéciaux, le s tribunaux répressifs ». La répression des délits privés, dans ce système ancien ou archaïque était donc l™ affaire des particuliers voire des familles ou des clans. Cette vengeance pr ivée sur la personne physique du coupable était même prévue par la loi des XII Tables, considérée co mme le plus ancien document en matière de délit. Elle réprimait certains actes dommageables à autrui telle la destruction des récoltes, l™incendie d™une maison. Sur la répression de ces différents ty pes de délits, voir notamment Joseph Declareuil, Rome et l™organisation du droit , Paris, La renaissance du livre 1924, à la p. 217. 14 La lex Aquilia selon le Digeste (Dig. 9.2.1), est en réa lité un plébiscite voté sur la proposition d™un tribun de la plèbe du nom d™Aquiliu s. La date exacte est, nous semb le-t-il mal connue; peut-être entre 286 et 287 avant J.-C. De toute façon, selon Jac ques-Henri Michel, « le caractère archaïque de la lex aquilia est rendu évident par le cadre rural qu™elle é voque, par la conception primitive de la causalité qu™elle prend en compte , par l™emploi du terme damnas et aussi par la manière dont elle définit le montant dû au propriétaire lésé ». Voir Jacques-Henri Michel, Éléments de droit romain à l™usage des juristes, des latinistes et des historiens , Bruxelles, Presses de l™Université libre de Bruxelles, 1998 à la p. 219. 15 Jean Gaudemet, Droit privé romain , 2e éd., Paris, Monchrestien, 2000 à la p. 282. Sur le contenu de la lex Aquilia, voir aussi Lord Thomas Mackenzie, Studies in Roman Law with Comparative Views of the Law of France, England, and Scotland , Floride, WM. W. Gaunt and Son, Inc, 1915 aux pp. 270-72. 16 Girard , supra note 13 à la p. 434.

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(2008) 21.2 Revue québécoise de droit international 134 causalité entre l™acte illicite de l™auteur et le dommage subi par la victime n™entre en ligne de compte, à l™origine , que s™il se manifeste concrètement par le contact physique 17. Dans ce système étroit du droit romain ancien, l™ iniuria ne concernait que les délits de commission et non d™omission. La lex Aquilia ne punissait donc que des actes positifs. Celui qui s™était borné à ne pas accomplir un acte qui aurait pu empêcher le dommage d™arriver n™encour rait aucune responsabilité. L™abstention n™est pas punissable. On ne peut par exemple, « poursuivre la personne qui, voyant éclater un incendie, n™a pas cherché à l™éteindre, ni l™usufruitier qui a négligé de tailler les vignes ou de réparer l™aqueduc » 18. Ce système de la lex Aquilia avait comme avantage de rendre l™administration de la preuve et surtout l™identification de l™auteur de l™ iniuria beaucoup plus facile. Le droit postérieur classique, à travers l™intervention du préteur, va élargir « la conception de la causalité en la rendant plus générale et plus abstraite » 19, et accorder une action à la victime même si l™ iniuria n™a pas été causé copore et copori20. Sur l™iniuria , la jurisprudence classique va introduire une innovation importante. De la notion d™acte commis sans droit, elle va conclure par une sorte d™interprétation évolutive, à l™exigence de la faute ( culpa ). En d™autres termes, la culpa remplace désormais l™ iniuria 21. Cependant, ces jurisconsultes classiques ne sont pas allés au bout de leur logique. En introduisant la notion de culpa dans la théorie de la responsabilité aquilienne, ils n™ont pas, nous semble-t-il, très nettement distingué le caractère fautif de l™infraction de l™idée qu™elle avait été co mmise sans droit. En présence des termes précis de la loi, ils ne pouvaient pas faire de la faute une condition distincte de l™existence du délit. Alors, ils furent amenés à dire que la notion d™ iniuria impliquait que l™auteur du dommage avait commis une faute : peu importait d™ailleurs que cette faute fût plus ou moins grave 22. La faute en droit classique romain ava it un caractère objectif. Elle résultait des circonstances objectives qui entourent le dommage, plutôt que de l™état d™esprit de son auteur. Par exemple, le bûcheron qui abat des branches et blesse un passant est ou non en faute, suivant qu™il travaillait au bord d™une route ou d™un sentier, ou bien en pleine forêt. Ce furent les Byzantins, certainement sous l™influence profonde du 17 Ibid . 18 Raymond Monier, Manuel élémentaire de droit romain , t. 2, 5 e éd., Paris, Monchrestien, 1954 à la p. 60. 19 Michel, supra note 14 à la p. 225. 20 Girard, supra note 13 à la p. 434. 21 Reinhard Zimmermann, The Law of Obligations. Roman Foun dations of the Civilian Tradition , Oxford, Clarendon Press, 1996 à la p. 1006. Sur la notion d™ iniuria et sa répression dans le droit classique, voir notamment Cuq, supra note 11 aux pp. 557-603. 22 Raymond Monier, supra note 18 à la p. 60. Pour Francesco Parisi , dans la période classique, l™« iniuria datum came to interpreted as being given with culpa or dolus. At this time the notion of individual™s culpability was gradually added to the objective notion of iniuria as basis of liability [–] this development [–] came to more mature elaboration only during the later classical period, and was to achieve its final consolidation by the time of Justinian codification » (Parisi, supra note 12 à la p. 60).

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(2008) 21.2 Revue québécoise de droit international 136 parait pas pertinent de lire le droit internat ional à travers le prisme du droit interne très souvent considéré comme modèle d™ordre juridique avancé. B. La culpa dans le droit romain des contrats En droit romain, les contrats sont des opérations juridiques entre des personnes, et qui ont à leur base des conventions destinées à faire naître des obligations, lesquelles, en cas d™inexécution, sont sanctionnées par une action en justice. Les contrats et les délits sont to us deux sources d™obligations juridiques. Cette étude étant consacrée à la place de la faute dans la théorie de la responsabilité, il ne nous parait pas pertinent de faire un examen de toute la théorie générale des contrats en droit romain. Nous nous limiterons à l™analyse du rôle de la faute dans l™exécution des conventions entre particuliers. L™inexécution d™une obligation contractuelle peut résulter, soit du fait de la volonté du débiteur, soit d™une cause extérieure à sa volonté, soit enfin d™un fait posé par le débiteur, mais sans intention de pro duire l™effet qui s™en est suivi. Dans le premier cas, nous dit Charles Maynz, « on dit qu™il y a dol de sa part, dolus ; dans le second cas, il y a cas fortuit, casus ; dans le troisième cas, il y a faute de la part du débiteur, culpa »27. Le dolus , par opposition à la bona fides , suppose toujours une intention positive, celle de nuire à autrui. Cette intention maligne peut se manifester par action ou par omission. Les romains distinguaient le dolus bonus et le dolus malus . Le « bon dol » ou ruse légitime est licite; c™est, par exemple dans une vente, le fait d™exagérer la valeur de la chose vendue ou bien de tr omper un voleur ou un ennemi; le « mauvais dol » est celui qui présen te un caractère frauduleux 28. En tant qu™acte de simulation ou de tromperie, le dol consiste en l™emploi de manœuvres frauduleuses pour déterminer quelqu™un à faire quelque chose. Pour qu™un fait du débiteur soit considéré comme dolosif, il faut que le dommage soit la conséquence directe de ce fait, qu™il y eût de sa part une intention de causer un dommage. Il s™ensuit dès lors « qu™il ne peut être question de dol quand il s™agit d™une personne à laquelle on ne peut en général imputer une action » 29. Emer de Vattel et l™émergence doctri nale du droit international classique, Paris, Pedone, 1998; Martti Kosenniemi, The Gentle Civilizer of Nations. The Ri se and Fall of International Law, 1870-1960 , Cambridge, Cambridge University Press, 2002; Ernest Nys, Les origines du droit international , Bruxelles, Castaigne, 1894; Antoine Pillet, dir., Les fondateurs du droit international. F. de Vitoria, A. Gentilis, F. Suarez, Grotius, Zouch, Pufendorf, Bynke rshoek, Wolf, Vattel, de Martens : leurs œuvres, leurs doctrines, Paris, Giard & Brière, 1904. 27 Charles Maynz, Éléments de droit romain , t. 2, 2 e éd, Paris, A. Durand, 1859 à la p. 6. 28 Monier, supra note 18 à la p. 69. Ulpien reprenant la dé finition de Labéon, c onsidère que ce préteur « ne s™est pas contenté de mentionner le dol, mais il a ajouté ‚malicieux™, puisque les anciens parlaient aussi du bon dol et entendaient par ce mot l™habile té, surtout si l™on manœuvre contre un ennemi ou contre un brigand ». Michel, supra note 14 à la p. 235. Selon Aquilius Gallus, « Servius [juriste de profession] a défini le dol malicieux comme une ma nœuvre destinée à tromper autrui, quand on simule une chose et qu™on en fait une autre » (Dig. 4.3.1). 29 Maynz, supra note 27.

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Évolution du concept de faute 137 Il y a casus, force majeure, cas fortuit, ce que nous appelons aujourd™hui circonstance excluant l™illicéité, lorsque le dommage est causé par un évènement auquel le débiteur n™a concouru d™aucune manière, et qui ne peut en aucune façon lui être imputé 30. Entre la casus et le dolus , il y a la culpa ou faute c™est-à-dire « toutes les espèces dans lesquelles un dommage a été causé par un évènement auquel le débiteur n™est pas étranger, sans que cepend ant on puisse lui attribuer une intention malveillante » 31. La culpa exige que le fait soit imputable au débiteur, mais qu™il n™y ait pas eu de sa part une volonté de nuire. Le dolus et la culpa impliquent tous deux qu™un dommage ait été causé par le fait du débiteur, « mais ils diffèrent entre eux en ce que le dol suppose nécessairement une intention coupable, laquelle est nécessairement exclue de la faute » 32. Dans le droit romain des contrats, la théorie qui était la plus généralement reçue depuis les glossateurs jusqu™à une ép oque récente était celle qui consistait à distinguer trois degrés de faute : culpa lata , faute grave ou lourde; culpa levis et culpa levissima33. Selon Lord Mackenzie, qui reprend sur ce point la position de Charles Maynz, on déterminait de la manière suivante la prestation de la faute : le débiteur qui ne retire aucun avantage du rapport obligatoire comme le mandat ou le dépôt, n™est tenu que de culpa lata ; si les deux cocontractants y ont intérêt par exemple la vente ou le partenariat, elles sont tenues l™une et l™autre de culpa levis , c™est-à-dire, des soins d™un boni patris familias , un bon père de famille, un homme raisonnable et essentiellement soigneux et attentif; enfin si l™une des parties retire seule un avantage, par exemple le prêt à usage ou commodat, elle est tenue de culpa levissima, la faute la plus légère, c™est-à-dire, des soins les plus minutieux, des soins plus grands que ceux d™un bon père de famille 34. Cette théorie, aussi séduisante qu™elle puisse paraître à cause de la gradation des antithèses qu™elle renferme, est rejetée par des éminents juristes historiens du droit romain. Charles Maynz par exemple, estime qu™un examen approfondi démontre qu™elle est incompatible avec les décisions romaines et de plus impraticable et contraire à l™équité 35. Pour lui, le terme culpa levissima ne se trouve dans les sources romaines qu™une seule fois dans un fragment d™Ulpien, et dans ce passage, il n™a aucune signification technique. De plus, puisque culpa levis est le manque des soins d™un bon père de famille, c™est-à-dire d™un homme essentiellement attentif et soigneux, culpa levissima devrait être le manque de soins encore plus grands; or la loi n™exige nulle part des soins plus étendus que ceux du paterfamilius 36. Enfin la gradation tripartite de la faute manque de raison d™être. Les romains distinguent deux hypothèses : celle dans laquelle nous ne retirons aucun avantage de l™obligation et 30 Ibid. 31 Ibid. 32 Ibid . 33 Cette distinction tripartite a ét é soutenue par Sir William Jones, An Essay on the law of Bailments , 3e éd., Londres, Sweet, 1823. Sur ce point voir également Monier, supra note 18 aux pp. 235-36. 34 Lord Mackenzie, supra note 15 à la p. 208; Maynz, supra note 27 à la p. 15. 35 Maynz, ibid. à la p. 15. Cette idée est soutenue par Lord Mackenzie, supra note 15 à la p. 208. 36 Maynz, ibid. à la p. 16. Cet auteur rejette également la distinction opérée notamment par Robert-Louis Perret qui s™inspire de l™ouvrage de Girard, entre culpa levis in concreto et culpa levis in abstracto . Car ce ne sont pas des degrés particuliers de la culpa.

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(2008) 21.2 Revue québécoise de droit international 138 celle dans laquelle nous en retirons un avantage. Dans la première, nous ne répondons que de notre culpa lata , tandis que dans la seconde, nous sommes tenus des soins d™un bon père de famille 37. Nous venons de voir la place centrale qu™occupe la faute dans les systèmes de responsabilité en droit romain. La règle générale était devenue la culpa, selon laquelle la responsabilité présuppose non seulement que le responsable a causé objectivement le dommage ou la perte ( iniuria ), mais qu™il y a également chez lui faute au sens subjectif de négligence ou omission, à moins qu™il n™y ait eu de sa part une intention dolosive. Or ce droit romain a été en Europe, à travers tout le Moyen Âge et même à l™époque moderne le grand modèle de tout système juridique. Le droit international lui-même a été construit, comme on le sait, en appliquant les concepts de droit privé du droit romain, généralisés et id éalisés par l™école du droit nature et des gens 38. Il ne nous parait donc pas superflu de retracer très brièvement les concepts d™inuiria et de culpa dans la doctrine du droit des gens développée entre le XVI e et le XVIII e siècle, avant d™analyser la place de la faute dans la responsabilité internationale d™aujourd™hui. C. L™ iniuria et la culpa dans la doctrine du droit des gens Le droit des gens, Law of nations , ou Völkerrech , est une traduction littérale de l™expression ius gentium ; gentes signifiant peuples ou nations. Le ius gentium 39, par opposition au ius civile , désignait à Rome l™ensemble des règles dégagées essentiellement par le préteur et qui régissait les relations entre un pérégrins et un Romain ou entre deux pérégrins se trouvant à Rome. Ce ius gentium régissait donc les relations dans lesquelles une des parties au moins n™était pas citoyen romain. La doctrine du droit des gens, « expression aujourd™hui teintée d™archaïsme » 40, est toute 37 Ibid . à la p. 17. Voir aussi Robaye, supra note 23 à la p. 349. 38 Anzilotti, supra note 3 à la p. 497. 39 Grotius distingue entre ius gentium primarium et secundarium . Pour Ernest Nys « le jus gentium signifiait, dans un sens large, le droit commun aux peuples civilisés, em brassant le droit public et le droit privé; il signifiait dans le sens étroit les principes régissant les relations du peuple romain envisagé comme un ensemble avec les peuples étrange rs envisagés de même ». Voir Ernest Nys, « Introduction » dans Francisco de Vitoria, De Indis et De Ivre Belli Relectiones , trad. par John P. Bate, Washington, Carnegie Institution of Washi ngton, 1917 à la p. 11 [Nys, « Introduction »]. Le ius gentium était l™ensemble des règles et institutions qui, pour répondre à des besoins communs aux hommes, sont pratiquées par tous les pe uples ou presque tous. Pour Gaius, le ius gentium se confond avec le droit naturel car, nous dit-il, c™est « le droit ét abli par la raison entre tous les hommes ». Il y a, par contre chez Ulpien, distinction entre ius gentium propre aux hommes et ius naturale commun à tous les êtres vivants hommes ou animaux. À côté du ius civile et du ius gentium, on avait, à Rome, le ius feciale qui était un corps de règles à caractère di vin et sacré, nécessaire par exemple pour commencer une guerre, conclure un traité de paix ou même réclamer la réparation d™un tort causé à un Romain. 40 François Rigaux, « La liberté de mouvement dans la doctrine du droit des gens » dans Vincent Chetail dir., Mondialisation, migration et droits de l™homme : le droit international en question / Globalisation, Migration and Human Rights: International Law under Review , Bruylant, Bruxelles, 2007, 137 à la p. 138. L™anglais Jeremy Bentham dans son ouvrage An Introduction to the Principles of Moral and Legislation publié en 1789, par un néol ogisme, remplaça l™expression Law of nations par International Law et est devenu depuis l™expression la plus usitée.

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