by M Tinouch-Stucki · 2004 · Cited by 3 — cependant possible au fornicateur et à la fornicatrice de se marier, après s’être repentis ». (note dans le Coran). 3.3.4 Filiation hors mariage.

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Université de Neuchâtel, Suisse Myriam TINOUCH – STUCKI Faculté des lettres et sciences humaines 1660 Château-d™Oex Suisse Institut d’ethnologie Rue Saint-Nicolas 4 026 924 45 13 2000 Neuchâtel m_stucki@hotmail.com http://www.unine.ch/ethno/ Myriam TINOUCH – STUCKI Dire la maternité célibataire Étude menée entre Casablanca et Rabat, Maroc Mémoire de licence en ethnologie Date de soutenance : 9 septembre 2004 Directrice du mémoire : Dr. Janine DAHINDEN Membre du jury : Dr. Ellen HERTZ

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2 L™illustration en page titre est inspirée du dessin de la caricaturiste algérienne Daiffa, paru dans Le Journal hebdomadaire (Casablanca) du 4 au 10 mai 1998, p.35 Remerciements Je remercie chaleureusement tous « mes » interlocuteurs pour le temps et l™attention qu™ils m™ont accordé ; « mon homme » qui me soutient par sa présence et qui a financé mon séjour de terrain au Maroc ; Dr. Barbara WALDIS pour ses encouragements « au début » ; Dr. Janine DAHINDEN pour son regard approfondi « à la fin ». Un grand merci à Véronique, Pierre-Yves et Driss pour la relecture. Merci à ma famille suisse et marocaine. En pensée avec feu ma grand-mère maternelle, devenue mère célibataire à quatorze ans suite à un viol. Elle a dû se séparer de son enfant naturel pour retrouver une « normalité ». En pensée avec Francis, que la « marginalité » a poussé au suicide il y a un an à peine.

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3 Résumé Au Maroc, la maternité célibataire se situe en marge de la loi et de la religion, deux cadres normatifs officiels. Ajoutée à ces normes extérieures, l™intériorisation de la honte et du contrôle social rend ce sujet sensible, délicat à approcher. Le non-dit, le tabou entourent la maternité célibataire et la mère célibataire, d™où la difficulté d™accéder à des mères non mariées en dehors de structures associatives et la nécessité d™obtenir des autorisations officielles pour contacter divers acteurs susceptibles d™être en lien direct ou indirect avec des aspects concernant de près la maternité célibataire. La mère célibataire n™a pas de statut juridique, même si sa situation de vie ressemble à la situation d™une mère seule, divorcée, veuve, répudiée ou abandonnée. Mon étude s™attache dès lors à interroger son statut social en donnant la parole à des interlocuteurs appartenant à différents domaines : associatif, médical, religieux, politique, universitaire et juridique. Trois « cas » directement concernés par cette problématique et six interlocuteurs « isolés » complètent également les manières de dire la maternité célibataire. Les entretiens menés sur le terrain constituent le support analytique de cette interrogation. Explorés selon les récurrences ou les particularités discursives, les entretiens forment des discours emic sur la maternité célibataire. Les énoncés de « mes » interlocuteurs donnent corps aux caractéristiques attribuées à la mère non mariée, dont l™exclusion constitue une dimension importante. Ils expriment également leur positionnement par rapport à cette mère, dont l™innocence et la culpabilité sont imbriquées : elle a transgressé un interdit par une action honteuse ; la maternité célibataire et la filiation naturelle représentent une population précarisée et un désordre généalogique menaçant l™ordre social. Le père non marié, ou le géniteur a quant à lui été évoqué de manière marginale. Il devient un personnage « accessoire » après avoir engendré la grossesse. Les discours tendent à dévoiler un profil dominant de mère célibataire : le profil « misérabiliste » d™une mère exclue, assumant seule un enfant naturel unique. Ils révèlent également les enjeux liés à la sexualité, à l™interprétation de l™Islam, au (dys)fonctionnement du pouvoir et à l™engagement de contre-pouvoirs, notamment lorsqu™il s™agit de proposer des solutions postérieures ou antérieures à la maternité célibataire. Ainsi, « dire » la maternité célibataire est aussi une manière de « raconter » la société marocaine.

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4 Table des matières 0.1 Abréviations7 0.2 Remarques préliminaires.8 PREMIÈRE PARTIE : Entrée en matière.9 1 Introduction.10 2 Objet d™étude imaginé avant le terrain..12 2.1 Pistes de recherche et problématiques potentielles..12 2.1.1 Récits de vie et stratégies..12 2.1.2 Inclusion Œ exclusion, déviance – transgression.14 2.1.3 Religion.16 2.2 Terrain imaginé..17 3 Mère non mariée ? Contextes.19 3.1 Définitions.19 3.2 Dénominations19 3.3 Maternité célibataire : référentiels juridiques et religieux.20 3.3.1 Droit international.21 3.3.2 Institution juridique et religieuse du mariage au Maroc.22 3.3.3 Relations sexuelles hors mariage.26 3.3.4 Filiation hors mariage.27 3.3.5 Paternité hors mariage..29 3.3.6 Zinâ, fitna, Hchouma, Harâm..30 4 Occurrences du terrain et méthode de travail..32 4.1 Aborder le « terrain », phase d™immersion..32 4.2 Vos papiers S. V. P. !..34 4.3 Mères non mariées « accessibles »36 4.4 Sources..37 4.5 Objet d™étude37 4.5.1 Entrer en contact..38 4.5.2 Interlocuteurs41 4.6 Interactions44 4.6.1 Entretiens.44 4.6.2 Questions..45 DEUXIÈME PARTIE : Analyse post-terrain48 5 Une ethnographie des discours.49 5.1 De l™importance de la parole49 5.2 Les entretiens comme discours.51

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5 5.2.1 Repérage..52 5.2.2 Catégorisations..53 5.2.3 Référentiels..55 6 Mère non mariée dans les discours62 6.1 La maternité célibataire : un non-dit64 6.1.1 Non-dit : sexualité.67 6.1.2 Cacher..70 6.1.3 Contrôle social..72 6.2 Dire la maternité célibataire.74 6.2.1 Aïcha ECH-CHENNA.74 6.2.2 Gouvernement..76 6.2.3 Presse francophone78 6.2.4 Dire la sexualité.79 6.3 Manières de nommer la mère non mariée..81 6.3.1 L™expression « mères célibataires » (al-‚oummahât al-‚azibât).81 6.3.2 Usage de l™expression « fille-mère »85 6.3.3 Insultes.87 7 Caractéristiques de la maternité célibataire..89 7.1 Recensement subjectif89 7.2 Causes de la maternité célibataire..90 7.2.1 Précarité économique90 7.2.2 Précarité du savoir.92 7.2.3 Manque d™éducation sexuelle..93 7.2.4 Ruralité.95 7.2.5 Grossesse sans géniteur..96 7.2.6 Grossesse accidentelle96 7.2.7 Avorter ?97 7.3 Conséquences de la maternité célibataire101 7.3.1 Exclusions..101 7.3.2 Si c™était ma sœur–108 7.3.3 Auto-exclusion110 7.3.4 Fuite de l™espace officiel (hôpital, état civil)112 7.3.5 Je t™aime moi non plus115 7.3.6 Abandon de l™enfant117 7.3.7 Maternité célibataire en milieu associatif.121 7.3.8 Stratégies de normalisation..122 7.3.9 Prostitution.125

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6 8 Jugements par rapport à la maternité célibataire129 8.1 Coupable ?.129 8.2 Victime ?..130 8.3 Pratique judiciaire : l™affaire « maternité célibataire ».132 9 Solutions proposées..137 9.1 Renarcissisation..137 9.2 Soutiens à la réintégration.138 9.3 Reconnaissance officielle..141 9.4 Reconnaissance dans l™Islam..143 9.5 Prévention de la maternité célibataire.145 TROISIÈME PARTIE : Pour conclure..154 10 Profils de mères non mariées..155 10.1 Profil dominant.155 10.2 Typologie élargie.158 11 Conclusions ?.164 Bibliographie..167 Annexe : interlocuteurs et interlocutrices..174 Annexe : nom des sourates mentionnées dans ce mémoire.177 Annexe : dossier de presse à Solidarité Féminine178

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8 0.2 Remarques préliminaires L™expression « Code du statut personnel » (CSP) est encore utilisée dans ce mémoire. Depuis le 21 janvier 2003, le CSP est cependant désigné par l™expression « Code de la famille », expression utilisée par le Roi Mohammed VI lors d™une audience qu™il a accordée au président de la Commission consultative chargée de la révision de ce code. Le terme moudaouana ou moudawana, utilisé généralement par les médias, les acteurs associatifs et les chercheurs pour mentionner le Code du statut personnel désigne, littéralement, un code. Dans ce mémoire, quelques interlocuteurs utilisent le terme de moudaouana dans son acceptation générale et non littérale. Je me réfère au Coran bilingue édité par le Roi Fahd ibn ‚Abdal ‚Aziz al Saoud, Roi du Royaume d™Arabie Saoudite (2000 après J.-C., 1420 de l‚hégire2). La version arabe adjacente à la version française permet de se référer à des mots Œ et au-delà à des notions Œ utilisés en arabe. Lors de citations, la source mentionne la sourate (S.) et le verset (v.) concernés. Le nom de ces sourates est indiqué en annexe. La majuscule attribuée dans ce travail au Coran, à l™Islam, à Dieu et au Prophète correspond à la dimension particulière accordée par les interlocuteurs à la religion. Le terme « islamiste » est l™équivalent dans ce mémoire du terme islamique, c’est-à-dire « qui se réfère à l™Islam » comme fondement d™un projet social (humain) et/ou d™un engagement politique. Aucune connotation d™extrémisme n™est liée au terme « islamiste » dans ce travail. La police (Comic Sans MS 10) reprend des passages de mon journal de terrain. Les racines et les définitions des termes arabes utilisés ou décrits dans ce mémoire sont issues du Dictionnaire arabe français / français arabe, Paris : Larousse-Bordas, 1999. 2 L™hégire : c’est-à-dire l™émigration (al-hijra) du prophète vers Yathrib (en) 622, ville qui fut ensuite nommée Médine, la cité du prophète (madînat an-nabî) (MERVIN 2000 : 11)

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1. Introduction 10 1 Introduction Fin 2001, je réalisais en lisant une rubrique sur internet concernant les enfants abandonnés au Maroc que nombre d™entre eux étaient issus de relations hors mariage. Je me demandais alors qui était leur mère– « Tu as commis un péché » disait (par le passé) la chrétienté aux mères non mariées. Leur enfant, « bâtard », était donné à l™adoption. Quant à elles, « fornicatrices et tentatrices », elles rachetaient leur péché par la prière, la propreté et le travail Œ pratiqués par exemple dans les couvents de Marie-Magdalène qui « accueillirent » plus de 30’000 femmes. Les « pécheresses » offraient ainsi leur âme à Dieu, et lavaient la « souillure » de leur vie3. En 1975 apparut, en France, le terme de monoparentalité (GARBAR et THEODORE 1991 : 134). « La notion de famille monoparentale recouvre différentes significations et englobe différents types de situations (veufs, divorcés, mères célibataires) ». Elle est caractérisée par l™« affaiblissement de la stigmatisation sociale exercée à l™endroit du divorce et de l™illégitimité, et l™accroissement important de la proportion des mères seules » (DE GAULEJAC et AUBERT 1990 : 44, 45 ; 47). Qu™en est-il au Maroc ? Qu™en est-il de cette « stigmatisation sociale » ? Au Maroc comme ailleurs, les mères non mariées se situent juste au centre de la « redoutable scission des deux images du féminin : la maman et la putain » (Le Temps 14.02.04 : 39). La « maman » et le père, unis par « les liens du mariage » (CP art.490), sont à l™origine d™une filiation légitimée par l™état civil. La « putain » n™est ni censée être mariée, ni censée procréer. La mère non mariée quant à elle a procréé sans être mariée ni forcément prostituée. Elle n™est plus fille (bent c’est-à-dire encore vierge dans le langage marocain) ; elle n™est pas mariée (mar™a, c™est-à-dire femme). L™ordre filial et familial est-il rompu par ce célibat, par l™absence de conjoint ? A-t-elle gardé sa position au sein de sa famille, de ses relations sociales ? Comment vivent les femmes ayant enfanté en dehors du mariage ? Comment sont-elles considérées par la loi, par la religion et par différents individus de la société marocaine ? Sont-elles reconnues comme mères ? La présentation des contextes juridiques et religieux nous permet de cadrer le scénario de la maternité célibataire, de planter le « décor normatif » concernant les mères non mariées dans le Royaume du Maroc. La configuration géographique et méthodologique du terrain cernera ensuite le contexte de la recherche, qui a pris une nouvelle direction suite à la difficulté d™aborder des mères non mariées et non intégrées à une structure associative. 3 The Magdalene Sisters de Peter MULLAN (Angleterre / Irlande, 2002). Le dernier couvent de ce type en Irlande fut fermé en 1966. Marie Madeleine (Marie de Magdala), femme qui a donné son nom à ces couvents, était une « femme de mauvaise réputation » selon Luc (La Bible, Luc VII, 37), « une prostituée repentie qui a été pardonnée par Jésus » (Le Nouvel Observateur, 30.01-5.02.03).

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1. Introduction 11 Les acteurs principaux de cette recherche sont les interlocuteurs et leur discours. Leur « art de dire » la maternité célibataire lève le rideau sur les caractéristiques et les enjeux liés à la maternité célibataire dans la société marocaine. Cette scène discursive éclaire également les problématiques sociales englobantes telles que les relations homme Œ femme ou femme Œ homme et la sexualité ; celle du référentiel (juridique, politique, religieux) servant de repère à l™argumentation des interlocuteurs ; la conception d™un ordre (contrôle) social (familial, filial) et de ce qui menace cet ordre (déviance, transgression). La paternité célibataire, version masculine de cette problématique, sera incarnée par un père non marié resté très discret dans les discours. Il s™agit donc dans ce mémoire d™obtenir, par le biais de fragments discursifs récurrents ou isolés, une compréhension de ce que la maternité célibataire peut signifier au Maroc.

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