by N Rigal · 2002 · Cited by 5 — Le but étant de favoriser le contact entre l’enfant et l’aliment avant que celui ne soit présenté dans l’assiette. Ce contact préalable à l’ingestion contribue

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PRÉFECTUREDE LA RÉGIONMIDI-PYRÉNÉESGROBIOSCIENCESUN CAHIER DU CYCLE ALIMENTATIONCafé des Sciences et de la Société du SicovalLA NAISSANCELA NAISSANCEDU GOÛTDU GOÛTNathalie RigalOCTOBRE 2002Edité par la Mission Agrobiosciences. La mission Agrobiosciences est fi nancée dans le cadre du contrat de plan Etat-Région par le Conseil Régional Midi-Pyrénées et le Ministère de l’Agriculture, de la Pêche, de l’Alimentation et des Affaires rurales.Renseignements: 05 62 88 14 50 (Mission Agrobiosciences) Retrouvez nos autres publications sur notre site : http://www.agrobiosciences.org

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Portrait Natalie Rigal. Psychologue-chercheur L™allure dynamique, le propos clair et concis, Natalie Rigal est une jeune chercheuse d™une rare humilité. « Je ne suis pas nutritionniste, je ne suis pas pédiatre, je suis psychologue, mais ne reçois pas d™enfant dans un cabinet, je suis psychologue chercheur », énonce-t-elle en guise de présentation. Élève de Matty Chiva, psychologue émérite à l™université de Paris X, à Nanterre et expert en matière de sensorialité, Natalie Rigal se définit volontiers comme son disciple. Elle est aujourd™hui l™une des rares spécialistes au monde en matière de psychologie du goût, une discipline toute neuve, née dans les années 70-80. Depuis plus de quinze ans, seule dans son laboratoire de psychologie et de développement de l™enfant à l™université de Paris X, elle tente de comprendre les mécanismes du goût de l™enfant. Elle n™a de cesse de « disséquer dans tous les sens les dernières études, et de s™emparer de toute nouvelle idée ». Pour cela, elle a appris à jouer de l™interdisciplinarité, jonglant entre sociologie, anthropologie, psychologie, biologie, et physico-chimie. Dotée d™un esprit scientifique sans faille, elle n™hésite pas à dénoncer quelques-uns des poncifs, remettant en cause, si nécessaire certaines conclusions scientifiques, trop hâtives à son goût. Après avoir publié un ouvrage grand public sur la « naissance du goût, comment donner aux enfants le plaisir de manger »(2000), elle travaille actuellement sur le goût des enfants obèses à partir d™un échantillon d™adolescents âgés de 14 ans, en collaboration avec Marie-Laure Frelut, pédiatre à l™hôpital Robert Debré. « Le nombre d™études expérimentales portant sur le goût sont très réduites. Il est toujours difficile de travailler sur l™humain et a fortiori sur les enfants, car les institutions nous ouvrent rarement leurs portes. L™aliment reste en soit un thème de recherche dévalorisé et le plaisir un tabou dans nos sociétés judéo-chrétiennes » 2

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Conférence Sortis du poulet frites, du jambon coquillettes ou du hamburger, les enfants ont une fâcheuse tendance à rejeter tout ce qui ne figure pas au palmarès de leurs préférences alimentaires. Apprendre au petit omnivore, à bien manger est une affaire complexe. Il faut tenir compte de l™inné, de son degré de sensibilité sensorielle, mais également de son environnement familial, social et culturel. Bref, d™un ensemble de composantes propre à chacun. À travers un état des lieux de la recherche scientifique sur la question, Natalie Rigal, psychologue et chercheur, nous éclaire sur la manière dont se construit le goût1 chez l™enfant, et plus précisément dont se met en place le plaisir alimentaire. Elle nous livre quelques-unes de ses réflexions et de ses recettes pour aider l™enfant à entrer dans l™univers sensoriel. Plaisir des papilles, plaisir de manger ensemble, de partager un repas. Plaisir, tel est le maître mot d™une éducation longue, sinueuse mais ô combien profitable aux enfants mais également à leurs parents. À la naissance, le petit omnivore possède des capacités olfactives et gustatives d™une grande finesse. Il reconnaît l™odeur de sa mère, fait la différence entre lait maternel et maternisé et distingue les différentes saveurs (salé, sucré, acide et amer). Au fil des mois, il va s™initier à d™autres saveurs, et contre toute attente peut manifester un fort penchant pour des aliments culturellement reconnus pour « adultes », comme le Roquefort, le fenouil ou le céleri. C™est vers l™âge de deux à trois ans, que les choses se corsent. Il devient plus sélectif sur le contenu de son assiette et à quatre ans adopte la panoplie du parfait conservateur. Trois-quart des enfants de deux à dix ans refusent de se laisser séduire par tout produit inconnu à leur répertoire alimentaire. Fort de ces fluctuations alimentaires inhérentes à l™enfance, Natalie Rigal choisit de débuter son intervention par un état des lieux des préférences et des aversions alimentaires des petits français. Qu™aiment-ils, un peu, beaucoup et pas du tout ? Existe-il un goût alimentaire juvénile ? «Contrairement à toute attente, explique prudemment la psychologue, il n™existe que deux études disponibles sur le sujet. La première réalisée par Fischler et Chiva, (1986) a porté sur un échantillon de 321 enfants âgés de 4 à 18 ans. Ils ont été interrogés sur leur préférence alimentaire, à partir de 96 aliments ; la seconde effectuée par Chiva et Baudier (1990) s™est intéressée aux adolescents (882 enfants âgés de 12 à 18 ans). Les forts pourcentages sur les préférences et les rejets retrouvés dans les deux études corroborent l™idée d™un goût enfantin. Au-delà des distinctions de sexes, d™âge, 1 Le goût associe plusieurs sensations : La saveur :le goût proprement dit que l™on analyse selon au moins 4 critères : sucré, salé, acide, amer. La flaveur : l™ensemble des sensations en bouche, c™est-à-dire la saveur, l™odeur et la texture. L™hédonisme : « j™aime » ou « je n™aime pas ». 3

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d™origine sociale ou géographique, les aliments favoris2 sont les aliments sucrés (fruits, pâtisseries, glaces), certains aliments salés et simples (frites, pâtes, riz, pain et pizza) et certaines viandes (bifteck, poulet) et laitages. Dénominateurs communs à ces aliments ? Ce sont des produits nourrissants, souvent très gras, ou riches en sucres lents, présentant une flaveur peu développée, et une texture molle. En revanche, les abats, la plupart des légumes et certains aliments à la flaveur prononcée (fromages forts, cornichons, oignons, poivre) sont abhorrés3. « J™aime pas les légumes » Quelles sont les raisons pour lesquelles les enfants acceptent ou rejettent telle ou telle famille d™aliments ? Pour répondre à cette question, la psychologue choisit de prendre l™exemple des légumes, produits majoritairement honnis des enfants. « Sur ce sujet, trois hypothèses ont été émises. Première hypothèse : les légumes seraient massivement rejetés à cause de leur très faible capacité rassasiante. De fait, dès le plus jeune âge, l™enfant est capable de reconnaître au goût les aliments aptes ou non à apaiser la sensation de faim. Deuxième hypothèse : la saveur prononcée et amère inhérente aux légumes provoquerait une réaction innée de dégoût chez l™enfant. Là aussi, cette réflexion s™appuie sur des travaux prouvant l™existence chez l™homme d™une aversion pour l™amertume. Enfin, la dernière hypothèse est centrée sur l™idée selon laquelle, l™omnivore serait hanté par l™idée d™empoisonnement et persisterait à se montrer réticent face à tout aliment inconnu. Cette hypothèse se réfère aux temps anciens, lorsque l™homme préhistorique pour diversifier son alimentation, devait à la fois goûter des végétaux nouveaux et se méfier de leur éventuelle toxicité. Selon certains sociologues, l™homme du XXIe siècle conserverait des traces de cette peur ancestrale d™empoisonnement ». Autant d™hypothèses qui manifestement laissent perplexe la psychologue. « S™il est indéniable que les légumes restent 2 Les 10 aliments « favoris » % de réponses « j™aime beaucoup » 1 cerise : 85 2 fraise : 85 3 chocolat : 85 4 frites : 84 5 framboise : 82 6 glace : 81 7 poulet : 78 8 yaourt : 77 9 pâtes : 77 10 raisin : 74 3 Les 10 aliments « outsiders » % de réponses « ça me dégoûte » 1 peau de lait : 51 2 cervelle : 45 3 olive noire : 41 4 poivre : 36 5 ail : 36 6 oignon : 35 7 fromage fort : 31 8 olive verte : 30 9 eau gazeuse : 29 10 céleri : 28 4

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majoritairement rejetés par les enfants, il convient de nuancer cette aversion. À la lecture de l™étude menée auprès des adolescents, on s™aperçoit qu™en grandissant, l™enfant apprend à dépasser ses dégoûts sensoriels. Les légumes et les aliments forts en goût sont mieux acceptés. La grande majorité des adolescents en vient à aimer les légumes. L™oignon par exemple recueille un taux de réponse négative (« je n™aime pas l™oignon ») de 70 % chez les 4 et 7 ans contre 41 % chez les 10 et 17 ans. De plus, cette appréciation est variable selon la préparation culinaire des légumes. C™est le fameux effet Béchamel. Une étude portant sur 1050 repas servis en crèche a montré que dans la situation de self-service, 51 % des enfants choisissent le chou-fleur quand il est en gratin, 36 % quand il est à la vapeur et 15 % en salade. Le goût pour les légumes est également variable selon le sexe des enfants. Alors que jusqu™à 12 ans, les préférences alimentaires sont identiques chez les deux sexes, à partir de la puberté, les filles apprécient davantage les légumes, et notamment les crudités, tandis que les garçons sont plus enclins à consommer des produits animaliers. Cette préférence féminine pour les végétaux s™explique par le processus d™appropriation. Les légumes sont associés à la diététique. « Ils ne font pas grossir donc c™est bon pour moi, et par conséquent, je les trouve bon, pensent-elles ». Chacun, ses goûts. Sommes nous égaux face aux goûts ? Existe-il des différences physiologiques qui nous conduiraient à apprécier et à rejeter certains aliments ? « De la même façon que nos parents nous transmettent leur couleur d™yeux et des cheveux, ils déterminent notre degré de sensibilité sensorielle, explique Nathalie Rigal. Celle-ci définit la capacité qu™ont nos récepteurs, c™est-à-dire les organes sensoriels que sont le nez et la langue, à traiter les informations provenant de l™extérieur. Selon la qualité et la quantité de nos cellules olfactives et gustatives, nous sommes plus ou moins sensibles aux odeurs et aux saveurs. Chacun évolue de manière spécifique dans l™univers du goût. Prenons le cas du PTC (phénylthiocarbamide), une molécule présente dans les produits souffrés, notamment dans les légumes crucifères (choux). Sa perception est très différente selon les individus. Pour environ 75 % de la population européenne et américaine, regroupés sous l™appellation des « goûteurs », le PTC donne lieu à une sensation amère et désagréable même à faible concentration, alors que pour les autres, « les non-goûteurs », la molécule n™est perçue qu™à de très forte concentration. Prendre conscience de la variabilité des perceptions gustatives et olfactives entre individus, c™est comprendre qu™un enfant rejette de façon très marquée certains aliments qui paraissent à d™autres tout à faits acceptables ». À entendre la psychologue, il serait donc tout à fait légitime qu™un enfant très sensible sur le plan olfactif et gustatif adopte un comportement très sélectif et se montre « difficile » à nourrir. « Matty Chiva a travaillé sur ce thème. Il a suivi 34 enfants de la naissance à 2 ans, et a observé le réflexe gusto-facial4 par rapport à la saveur amère, mais s™est aussi intéressé au comportement alimentaire de chaque enfant en adressant un questionnaire à chaque mère. À l™issue de cette enquête, il a 4 Il s™agit d™un réflexe inné qui se traduit dès la naissance par des expressions typiques du visage (grimace, sourire–) et identiques chez tous les individus en fonction des saveurs proposées : sucré, salé, acide et amer (grimace, sourire, –.) 5

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distingué un groupe d™enfants (5) très peu sensibles à l™amertume appelés hypogeusiques, un deuxième groupe normogueusiques (21 sujets) et les hypergeusiques (8) réagissant fortement à de très faible concentration de quinine (saveur amère). Le questionnaire adressé aux mères a confirmé que les enfants hypogeusiques, c™est-à-dire peu sensibles sur le plan gustatif n™étaient pas difficiles, alors que les hypergueusiques, c™est-à-dire hyper goûteurs étaient décrits comme capricieux et très sélectifs dans leurs choix alimentaires. » La néophobie : banale et universelle. L™introduction de nouveaux aliments suscite d™une manière universelle des réticences chez l™enfant, c™est la fameuse néophobie, un concept qui passionne les chercheurs et désarçonne les parents. « La néophobie est un sentiment de peur éprouvé par l™omnivore face à des aliments inconnus. Sur le plan comportemental, cela se traduit par une réticence à goûter un produit nouveau, et sur le plan des affects et des émotions, par une tendance à le trouver mauvais, dès lors que l™on accepte d™y goûter ». On voit l™enfant trier les aliments, les examiner attentivement, les flairer et ne les goûter qu™à contrecœur et en très petite quantité, parfois les recracher. « Ce comportement, loin de constituer un trouble du développement, correspond à une phase normale de ce développement, insiste la psychologue. La seule enquête française réalisée sur ce thème date de 1994. La psychologue, Liliane Hanse a adressé un questionnaire à 600 mères d™enfants âgés de 2 à 10 ans axé sur les changements de comportement alimentaire de leurs enfants au cours du temps. Premier enseignement : 23 % des enfants sont peu néophobiques, ils acceptent de goûter un aliment nouveau, sans aucune contrainte. Pour ce qui concerne les 77% d™enfants néophobes, Liliane Hanse a distingué trois degrés de néophobie5. Le degré 1 regroupe les sujets qui demandent à goûter avant de consommer ou non le plat ; le degré 2, les enfants qui acceptent de goûter sous la contrainte, mais sans modifier leur point de vue initial et enfin le degré 3, les enfants qui refusent catégoriquement de goûter des produits nouveaux et là, je pense, que l™on peut véritablement parler de phobie, au sens psychopathologique du terme ». À quel âge les enfants se montrent-ils le plus néophobe ? « Entre 4 et 7 ans indéniablement, précise Nathalie Rigal. Par la suite, c™est-à-dire jusqu™à l™âge de 10-11 ans, leur comportement s™assouplit, l™enfant demande de goûter un plat inconnu, et accepte de modifier son point de vue. A signaler que les produits rejetés de manière systématique sont les aliments au goût prononcé, et bien sûr les légumes, ce qui corrobore l™existence d™un goût enfantin. Miser sur la répétition La néophobie est donc un passage obligé. Pour autant, faut-il attendre que crise se passe et ne proposer aux enfants que les seuls plats qu™ils affectionnent au risque de tomber dans le piége du menu purée saucisses, poulet-frites et autres aliments fétiches ? « Certainement pas, rétorque Natalie Rigal et pour trois raisons : l™homme 5 Pourcentage d™enfants âgés de 2 à 10 ans et de degré de néophobie : Degré 0 (mange) : 23% Degré 1 (demande) : 39% Degré 2 (est forcé) : 32% Degré 3 (refuse) : 6% 6

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De l™influence de l™autre. Le contexte social et affectif de la consommation alimentaire joue un rôle prépondérant chez l™enfant. Un certain nombre de travaux ont montré qu™il pouvait exercer une large influence sur la mise en place des préférences et des aversions alimentaires. « L™expérience réalisée par Harper et Sanders (1975) a montré que certains adultes et en particulier la mère avaient une influence très importante sur le goût des enfants. Ils ont observé les réactions de 80 enfants (40 âgés de 2 ans, et 40 de 4 ans) auxquels soit la mère, soit un expérimentateur inconnu présentait un produit nouveau. Les résultats indiquent que lorsque l™adulte goûte l™aliment avant de l™offrir, 80 % des enfants acceptent de le consommer, contre 47 % en situation d™offre simple. Par ailleurs lorsque l™aliment est offert sans être goûté, la mère réussit mieux à le faire goûter que l™expérimentateur inconnu. Cela signifie que par simple observation ou imitation, les jeunes enfants apprennent à contenir leur tendance néophobique. Dans le même registre, des études ont montré que le facteur le plus important dans l™élargissement et la socialisation des goûts alimentaires de l™enfant est l™influence directe de ses pairs. Une expérience effectuée par Birch (1980) auprès d™enfants scolarisés en maternelle (3-5 ans) a montré qu™un aliment rejeté par un enfant peut être finalement accepté si les autres enfants expriment un plaisir à le consommer. Là encore, l™enfant procède par simple observation : voyant ses camarades accepter, apprécier et consommer un produit que lui-même n™apprécie pas, il modifie progressivement son comportement alimentaire pour adopter celui de ses camarades, et ceci même en leur absence. Ce n™est pas simplement pour « faire comme les autres » mais parce que l™aliment nouveau consommé par des personnes familières, le rassurera et apaisera sa néophobie. Cela illustre bien qu™à travers la confrontation au modèle des autres, l™acceptation alimentaire peut-être modifiée par un apprentissage social. Et il est bien certain que pour le jeune enfant, les parents et les adultes offrent très certainement le modèle le plus prégnant. Si l™on se place maintenant sur le plan affectif, il a été démontré que dans un contexte chaleureux, l™enfant tend à dépasser ses rejets alimentaires. Ce qui confirme d™ailleurs nos connaissances sur le fonctionnement du centre du plaisir, à savoir que le contexte chaleureux de la prise alimentaire favorise la valeur hédonique du produit. En pratique, conclut la psychologue, présenter un aliment nouveau à votre enfant, nécessite de se sentir suffisamment disponible pour créer une atmosphère agréable. Personnellement, précise-t-elle, lorsque j™invite mes enfants à goûter un plat inhabituel, j™essaie de les initier au plaisir de découvrir, de s™ouvrir et de partager ». 8

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Parlons en Génétique, nutrition, autorité, famille– Dénonciation du tout nutritionnel, remise en cause de la permissivité, psychologie familiale, goût du fœtus –Tels furent les principaux thèmes du débat qui suivit la conférence. Natalie Rigal se prêta aux nombreuses questions des parents souvent désarçonnés par le comportement alimentaire des enfants. La question de l™autorité. À l™heure où parents et éducateurs semblent redécouvrir les vertus de l™autorité, la question de la permissivité dans le domaine alimentaire fut bien sûr abordée. «Dans le cadre des repas pris en famille, il m™arrive souvent de faire deux menus, l™un pour les parents, et l™autre pour les enfants. Ainsi, je suis assurée qu™ils mangeront ce que j™ai préparé. Qu™en pensez-vous ? ». s™interroge une mère de famille du public. En écho, cette autre question lancée par un père de famille : « Face à des enfants difficiles, devons-nous recourir à l™autorité afin de les inciter à manger, ou cela risque-t-il de provoquer des blocages alimentaires ? ». En filigrane, faut-il au nom du droit à la différence, respecter les goûts alimentaires de ses enfants ou au contraire, se montrer intransigeant et les «forcer » » sinon à manger, au moins à goûter ? « Je crois que la préparation de deux menus séparés est une erreur. D™abord parce que du point de vue de l™enfant, cela ancre la représentation qu™il y a deux sortes d™aliments : ceux qui sont bons pour eux, et ceux qui sont bons pour les adultes, ce qui est totalement faux. Rappelons, que contrairement aux représentations culturelles, les aliments ayant un goût prononcé, comme l™ail ou l™oignon peut être donnés aux enfants. De plus, cela va à l™encontre de la notion de plaisir et d™émotion partagés en famille, garant d™une bonne éducation sensorielle. Trop souvent, également, les parents demandent à leur enfant, dès lors qu™il est en âge de s™exprimer, d™établir lui-même son menu. Là aussi, il faut le déplorer, et cela pour plusieurs raisons. D™abord, parce que l™enfant ignore tout des règles de l™équilibre alimentaire. Si on les laissait choisir, seuls les aliments gras et/ou sucrés et connus seraient plébiscités. Par ailleurs, insiste la psychologue, les enfants ne sont pas des adultes miniatures. Sur le plan affectif et cognitif, ils ont besoin d™être protégés et encadrés. Il est aujourd™hui démontré que le meilleur moyen d™aider un enfant à progresser consiste à se situer juste au-dessus de sa zone de compétence et de l™accompagner de façon à combler le vide entre ce qu™il est capable de faire seul et ce qu™il sait faire avec un adulte. Laisser trop le choix à l™enfant peut s™avérer néfaste, a fortiori, lorsque les parents jugent ce choix de manière négative. Les « tu as fait le mauvais choix » ou « ca va encore te faire grossir » restent très culpabilisants pour l™enfant. Il est préférable de miser sur une attitude ferme (« voilà le menu ») et chaleureuse (« que j™ai choisi pour nous ») et inciter son enfant à goûter les plats. Pour autant, fermeté ne signifie pas rigidité. Pour être acceptés, les plats proposés par l™adulte devront dans une certaine mesure tenir compte des goûts de l™enfant. L™introduction des aliments rejetés devant se faire très progressivement. Quant à la tentation de recourir au chantage, prudence ! Le « mange tes épinards, sinon tu n™auras pas le droit au dessert » va à l™encontre du processus normal de familiarisation. L™enfant mettra davantage de temps pour accepter l™aliment. 9

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L™influence de la fratrie. L™idée selon laquelle les préférences alimentaires des enfants étaient fortement influencées par ses pairs et par l™environnement familial n™a manifestement pas convaincu l™un des participants au débat : « Je crois que l™apprentissage par observation ou imitation n™est pas toujours efficace. Au contraire, j™ai l™impression que les enfants se forment une personnalité en essayant de manger autre chose que le copain ou le frère ? « Effectivement, je n™ai pas abordé la question de la construction de l™identité à travers l™alimentation. Il est aujourd™hui établi qu™il existe un lien très fort entre l™aliment que l™on choisit de mettre à l™intérieur de soi et le fait qu™à travers l™aliment, on se construit une personnalité. L™alimentation met en jeu à la fois des mécanismes d™imitation et des mécanismes de différenciation, le deuxième de la fratrie se distinguant par exemple des autres par des goûts particuliers. Dans cet ordre d™idées, il faut citer les travaux effectués sur les jumeaux et notamment ceux qui montrent que d™après les tests de personnalité, les jumeaux vrais ayant vécu séparés se ressemblent plus que ceux qui ont vécu ensemble, probablement parce que ces derniers ont été différenciés par « l™effet de couple ». Quand je suis en couple, j™ai besoin de trouver ma place et donc de me différencier d™autrui. Si le deuxième enfant de la fratrie est très sélectif sur ses choix alimentaires, ce n™est donc pas forcément parce qu™il est hypergueusique, mais parce qu™il peut se dire, puisque l™aîné mange de tout, moi je serais l™inverse, c™est-à-dire difficile à table. C™est une façon de forger sa personnalité, et d™occuper une place dans la famille. La main-mise des nutritionnistes sur l™alimentation Au cours des cinquante dernières années, le manger « bien », ou « pour se faire du bien » s™est progressivement substitué à la notion « du manger pour se faire plaisir ». Les raisons tiennent aux progrès scientifiques. Les recherches en nutrition ont en effet montré une corrélation entre certaines maladie et la manière de manger, ainsi que le contenu de l™assiette. Les maladies cardio-vasculaires, l™ostéoporose et bien sûr d™obésité, notamment, celle qui touche les enfants sont autant de pathologies qui trouvent leurs origines dans de mauvaises habitudes alimentaires. Face à ces ravages, le gouvernement a mis en place en 2000 une vaste politique nutritionnelle de santé publique intégrant un volet préventif à destination des enfants scolarisés. Les programmes scolaires abordent désormais les questions de la nutrition et de la santé. « À quel âge cette éducation alimentaire doit Œelle être mise en place, et existe-il des méthodes particulières pour les initier aux goûts ? » s™interroge une personne du public. « J™ai assisté à plusieurs séances d™éducation nutritionnelle, mais j™ai constaté que les travaux étaient essentiellement axés sur l™aspect santé et équilibre. On présente à l™enfant les aliments qu™il doit ou non consommer. Il y a les aliments bleus, rouges ou jaunes, et on lui dit : « il faut que tu manges un bleu, un rouge et un jaune tous les jours ». Quant à la question du goût, je suis obligée de constater qu™elle est souvent occultée. Cela ne signifie pas que je suis en désaccord avec l™idée d™une éducation nutritionnelle. Elle reste très utile, en particulier pour lutter contre la hausse d™enfants obèses. Ce que je regrette, c™est de voir l™éducation nutritionnelle prendre le pas sur l™éducation sensorielle. Je crois que la nutrition relève souvent du discours idéologique. Prenons le cas des légumes : Il y a actuellement une sorte de parti pris, de bien pensance sur le fait qu™il faut en consommer à tout va. Or, personne ne connaît nos véritables besoins en la matière. J™ai assisté à de multiples colloques sur la nutrition, et observé à quel point les discours sur ce sujet, comme tant d™autres se contredisaient. À mon sens, la nutrition 10

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n™est pas encore une vraie science. En tant que psychologue, je m™oppose à l™idée selon laquelle les enfants doivent consommer tous les légumes, je préfère militer en faveur du plaisir culinaire. Je souhaiterais qu™à table, les repas pris en famille ou à la cantine se déroulent autrement. Plutôt que de laisser l™enfant faire ses propres choix nutritionnels. Je préférerais qu™un adulte lui dise : « voilà ce qu™on mange à midi ou ce soir, et maintenant, on va prendre du plaisir à manger ensemble ». Le goût, le fœtus et l™inné. La construction du goût chez l™enfant, on l™a vu obéit à de multiples composantes, mais quid du goût de l™enfant in utero ? « L™alimentation de la mère, pendant sa grossesse peut-elle influer sur les préférences alimentaires futures de son enfant, s™interroge une jeune femme, autrement- dit, le goût de l™enfant à venir peut-il être affecté par celui du liquide amniotique ? ». C™est un domaine de recherche qui commence à être exploré notamment par Benoist Schaal, explique Nathalie Rigal. Selon ce dernier, la variabilité individuelle des préférences olfactives et gustatives à la naissance résulterait en partie de l™apprentissage intra-utérin. En ingérant le liquide amniotique, le fœtus se familiariserait ainsi avec certaines odeurs issues de la consommation alimentaire de la mère. C™est une hypothèse qui n™a jamais été démontrée de manière formelle. En revanche, ce qui a été établit scientifiquement, c™est que le fœtus possède des bourgeons gustatifs, autrement dit l™organe du goût. On sait qu™il aime le sucré, puisque des travaux ont montré que plus la teneur en glucose dans le liquide amniotique de la mère était importante, plus le fœtus en ingérait. En ce qui concerne les cellules olfactives, on sait également qu™elles sont opérationnelles dés le cinquième mois de gestation. Toutefois, on ignore encore si l™ensemble des molécules olfactives contenues dans les aliments ingérés par la mère se retrouve en totalité dans le liquide amniotique. Ce sujet fait actuellement l™objet de nombreuses controverses. N™étant pas scientifique, je me garderai de prendre position, tient-elle bon d™ajouter. Ce qui est certain, c™est que le goût obéit à une prédisposition génétique. Des chercheurs, dont Matty Chiva en France ou Jacob Steiner, en Israël ont démontré que le plaisir et le déplaisir pour certaines saveurs fait partie de l™inné. Ils ont étudié le réflexe gusto-facial de nourrissons, quelques heures après la naissance et noté leur réaction en fonction des différentes solutions (sucré, salé, acide, amère). De manière unanime, la saveur sucrée est acceptée, alors que l™acidité et l™amertume sont rejetées. Il s™agit bien d™un phénomène inconditionné, ne se référant à aucun apprentissage. Les biologistes s™accordent à considérer que cette appétence pour la saveur douce s™explique en termes d™évolution. Ceci permettrait à l™enfant de mieux se nourrir pendant les premiers mois de sa vie, le lait maternel possédant une saveur sucrée. Inversement, l™aversion innée pour l™amer résulterait du fait que dans la nature, les substances amères sont fréquemment toxiques ». Une réponse qui apparemment ne satisfait tout à fait une femme dans le public : « Pouvez-vous confirmer l™idée fréquemment émise selon laquelle un enfant nourri au lait maternel aura tendance à être plus ouvert aux nouveaux aliments qu™un nourrisson nourri au lait maternisé ? » « Tout ce que je peux vous dire relève du bon sens, répond la psychologue. Il est indéniable que le lait maternel procure au bébé une expérience sensorielle très diversifiée, ce qui n™est pas le cas avec les laits maternisés. Pour le reste, encore une fois, aucune expérience n™a jamais montré que les goûts ultérieurs du nourrisson étaient en rapport avec le goût du lait de la mère ou que les enfants nourris au sein étaient moins néophobes que leurs pairs nourris au lait maternisé ». 11

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